Page:La Société nouvelle, année 6, tome 2, 1890.djvu/504

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tiens affolés d’abnégation et de justice volantes dans l’air : ces hommes, ils seraient morts tous pour leur rêve proclamé, pour leur devoir d’apostolat et leurs mots « fire and blood ». Reluisaient-elles ces lettres, non plus comme une annonce vulgaire, mais en cris d’âme brûlés sur leur étendard.

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On alternait les couplets et les cantiques. La directrice du chant, debout, la première sur l’estrade, marquait largement la mesure, attaquait l’hymne de sa voix en cuir tanné, et toutes les Salutistes suivaient le rythme en battant des mains. A s’entraîner ainsi longtemps par des tangages de chants successifs dont les notes hautes semblaient des clous de roc où suspendre toutes leurs prières, quelques-unes par le simple fermement des yeux se créaient des paradis, s’enflammaient de leurs propres paroles et s’exagéraient le cœur jusqu’à l’extase. Leurs visages d’immobilité tragique ou de douceur infiniment fondante affirmaient qu’elles voyaient Dieu. Leurs mains serrées ou tendues vers un embrassement remuaient autour des pieds invisibles d’un Christ familier apparu sur leur terre. Les prières ne prenaient fin que pour se perpétuer en d’autres’ prières, et ce spectacle prodigieux de foi, malgré toute sa vulgarité, poignait si fort que des femmes sortaient des rangs de l’assemblée et montaient se ranger sur l’estrade, converties. i

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Miroir tout à coup clair d’hystérie triomphante ! La joie d’être grands par une même idée arborée au vent du siècle et maintenue ferme, réalisait l’entente fraternelle et le bonheur. Chacun d’eux était fort de la force de son rêve. Ils priaîent, songeaient, voulaient, s’extasiaient ensemble. Des liens subtils attachaient l’un à l’autre leurs cerveaux, et ces liens devenaient rênes entre les mains de Christ. Jésus ! ils le sentaient comme un baiser par à travers leur chair, comme un sourire derrière leurs paupières pieusement closes. Sa vision s’installait en eux et sa foi si totale que certains assurément se croyaient désignés pour faire son miracle. Des voix à leurs oreilles ton-