Page:Laclos - De l’éducation des femmes, éd. Champion, 1903.djvu/81

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force, ils pouvoient le devenir à elle par le plaisir. Plus malheureuses que les hommes, elles durent penser et réfléchir plutôt qu’eux ; elles sçurent les premières que le plaisir restoit toujours au-dessous de l’idée qu’on s’en formoit, et que l’imagination alloit plus loin que la nature. Ces premières vérités connües, elles apprirent d’abord à voiler leurs appas pour éveiller la curiosité ; elles pratiquèrent l’art pénible de refuser, lors même qu’elles désiroient de consentir ; de ce moment elles sçurent allumer l’imagination des hommes, elles sçurent à leur gré faire naître et diriger les désirs : ainsi naquirent la beauté et l’amour[1] ; alors le sort des femmes s’adoucit, non qu’elles soient parvenües à s’affranchir entièrement de l’état d’oppression où les condamna leur faiblesse ; mais, dans l’état de guerre perpétuelle qui subsiste entre elles et les hommes, on les a vûes, à l’aide des caresses qu’elles ont sçu se créer, combattre sans cesse, vaincre quelquefois et souvent, plus adroites, tirer avantage des forces même dirigées contre elles ; quelquefois aussi les hommes ont tourné contre elles-mêmes ces armes, qu’elles avoient forgées pour les combattre, et leur esclavage en est devenu plus dur. De la beauté et de l’amour naquit la jalousie ; ces trois illusions ont totalement changé l’état respectif des hommes et des femmes, elles sont devenües la baze et le garant de tout contrat

  1. Afin que le lecteur inatentif ne nous accuse pas de contredire icy ce que nous avons avancé plus haut, en parlant de la femme naturelle, nous le prévenons que nous parlons de la beauté de choix et de l’amour exclusif.
    Note de Ch. de L.