Page:Laclos - De l’éducation des femmes, éd. Champion, 1903.djvu/84

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plus favorable à la jouissance, la manière d’être qui fait espérer la jouissance la plus délicieuse. C’est dans ce sens que la femme naturelle a de la beauté, c’est dans ce sens qu’on peut dire que toutte femme fraîche, grande et forte, est une belle femme. Si cette définition est juste, elle doit, d’une part, convenir à tous les peuples, indistinctement ; et de l’autre, on doit en voir suivre naturellement cette foule d’idées, toujours différentes et souvent contraires, que chaque peuple, disons mieux, que chaque homme se forme de la beauté.

Du moment où les hommes furent réunis, il perdirent le repos. L’homme naturel dort aussitôt que ses besoins sont satisfaits ; il n’en est pas ainsi de l’homme civil ; il faut qu’il veille à l’exécution du contrat social, il ne s’abandonne plus au sommeil, il ne lui donne que le temps qu’il ne peut lui refuser. Sans cesse en garde contre les entreprises de ses associés, il veille, non pour agir, mais pour être prêt à agir au besoin. Dans cet état d’inaction, l’homme s’occupa à comparer ses idées ; le passé revint à sa mémoire, l’avenir se peignit dans son imagination ; le souvenir et la prévoiance se dévelopèrent, et agirent avec force sur lui ; souvent on les a vus, depuis, étouffer en quelque sorte la sensation du moment présent. Les besoins fournirent à l’homme ses premières idées ; celles du plaisir suivirent immédiatement, dès que sa mémoire fut assez exercée pour lui retracer l’effet des sensations qu’il avoit éprouvées, il compara ses jouissances passées, il en conclut pour ses jouissances à venir. Jusque-là l’homme avoit joui de