Page:Laclos - De l’éducation des femmes, éd. Champion, 1903.djvu/92

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difficultés que semble lui opposer une beauté sévère ; celuy-cy est attaché par le charme d’une douce langueur ; celui-là est entraîné par l’ivresse du plaisir vivement exprimé ; souvent même, aux yeux de plusieurs, l’esprit, la grâce, les talents, ont suppléé par une heureuse illusion à la privation de la beauté, ou plutôt ils sont devenus la beauté, puisqu’ils ont su, comme elle, faire naître l’espoir du plaisir. La beauté de tous les temps, de tous les lieux, de touttes les personnes, est donc, comme nous l’avons dit plus haut, l’apparence la plus favorable à la jouissance, et, de cela même, il suit qu’elle doit varier, au gré de la diversité des opinions, sur ce qui donne plus ou moins de prix à cette jouissance. Il résulte de ces réflexions que l’homme naturel jouit de la beauté sans la connoître, qu’il n’a nulle idée de la beauté de choix, et que, pour lui, le crâne de Philipe est semblable à celui des autres Macédoniens ; que, dans les pays où les hommes rassemblent plusieurs femmes, pour le plaisir d’un seul, et les tiennent dans une entière dépendance, la facilité de comparer et de juger de sens froid doit décider leur choix en faveur de la beauté naturelle telle que nous l’avons définie, et que, dans nos mœurs, la beauté, jouet éternel de nos opinions, varie à tel point que la femme que nous appelons laide peut enlever, facilement et unanimement, à celle que nous disons belle, l’hommage et les désirs des hommes qui les entourent[1]. Mais si cette illusion est possible, elle n’est

  1. Il n’est pas rare de voir au théâtre les rolles de femmes les plus intéressantes remplis par des actrices laides, tandis que leurs