Page:Lacordaire - Œuvres du R.P. Henri-Dominique Lacordaire, tome 2 - Conférences de Notre-Dame de Paris.djvu/80

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venait à tomber de sa tête de dix-huit ans, il estimerait tout perdu et n’aurait pas assez de cris contre la tyrannie. Pour nous, on nous a donné la mort, longtemps nous l’avons reçue, et nous ne nous sommes plaints qu’avec modération, jugeant heureux ceux qui mouraient ainsi pour rendre gloire à Dieu, et assurer par leur témoignage la foi de leurs frères.

Mais comment la suprématie spirituelle se développa-t-elle, par quels actes put-elle se manifester pendant que toute l’Église était asservie à la loi du martyre ? Il semble qu’il y avait là un oubli de la Providence, une négligence des premières règles de la politique. Mais Dieu ne juge pas comme les hommes. C’était précisément parce que les souverains pontifes n’avaient aucuns moyens humains d’établir leur suprématie, qu’elle devait être plus authentique et plus immortelle. S’ils avaient eu la protection des Césars, on nous eût dit que l’Église de Rome était devenue la première parce qu’elle était assise dans la première ville de l’empire, sous la pourpre impériale : mais saint Pierre, venant, le bâton à la main, pour se faire crucifier dans Rome, lui et ses successeurs, pendant trois siècles, l’influence civile ne pouvait plus rien réclamer dans l’établissement du pontificat. Il fallait que le pauvre vieillard enfermé dans ces tombeaux, qui bordent les voies romaines régnât sur le monde. Il fallait que, du sein de ces habitations plutôt de la mort que de la vie, son gouvernement fût obéi, qu’on lui