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de m. lagrange

l’Autriche et la Géométrie sur les bras ; et qu’enfin, malgré l’immense réputation d’Euler, on voit, par la correspondance avec Voltaire, que Frédéric ne le désignait que par la qualification de son Géomètre borgne, dont les oreilles ne sont pas faites pour sentir les délicatesses de la poésie ; à quoi Voltaire ajoute : Nous sommes un petit nombre d’adeptes qui nous y connaissons, le reste est profane ; remarque plus spirituelle que juste, et qu’Euler, en parlant de la Géométrie, aurait pu, avec tant d’avantage, rétorquer contre Voltaire et Frédéric. On voit bien que Voltaire, qui avait si dignement loué Newton, cherche en cet endroit à flatter Frédéric ; il entre par complaisance dans les idées du Prince, qui ne voulait mettre à la tête de son Académie qu’un savant qui aurait au moins quelques titres en littérature, dans la crainte qu’un Géomètre ne mit pas assez d’intérêt à la direction des travaux littéraires, et qu’un littérateur ne fût encore plus déplacé à la tête d’une société composée en partie de savants dont il n’entendrait pas même la langue ; il avait donc raison de diviser la place pour qu’elle fût complétement remplie.

M. Lagrange prit possession le 6 novembre 1766. Le procès-verbal qui en fait mention lui donne le nom de Lagrange-Tournier. Il avait été bien reçu par le Roi, mais il s’aperçut bientôt que les Allemands n’aiment pas que les étrangers viennent occuper des places dans leur pays ; il se mit à bien étudier leur langue, il ne s’occupa sérieusement que de Mathématiques, il ne se trouva sur le chemin de personne, parce qu’il ne demandait rien, et força bientôt les Allemands à lui accorder leur estime. Le Roi me traitait bien, a-t-il dit lui-même, je crois qu’il me préférait à Euler, qui était un peu dévot, tandis que moi je restais étranger à toute discussion sur le culte, et ne contrariais les opinions de personne.