Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 9, part. 3, J-K.djvu/216

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

coup de grâce, dans ce chef-d’œuvre qui s’appelle les Plaideurs. Cette fois, elle ne s’en releva pas ; l’éloquence de Petit-Jean et de l’Intimé la coucha pour jamais dans le tombeau. Rappelons ici les principaux traits de cette scène, qui ne redoute point la comparaison avec les plus comiques de Molière, et où l’Intimé plaide la défense du chien Citron, cité à comparaître devant ie juge Dandin, sous la grave inculpation d’avoir étranglé un chapon du Maine, avec cette circonstance aggravante de l’avoir mangé, tout ou partie :

petit-jean.

Messieurs, quand je regarde avec exactitude
L’inconstance du monde et sa vicissitude ;
Lorsque je vois, parmi tant d’hommes différents,
Pas une étoile fixe, et tant d’astres errants ;
Quand je vois les Césars, quand je vois leur fortune
Quand je vois le soleil et quand je vois la lune…

C’est maintenant au tour de l’Intimé ; Dandin, effrayé de la harangue qu’il vient d’entendre, lui demande :

. . .Serez-vous long, avocat ? dites-moi.

l’intimé.

Je ne réponds de rien.

dandin.

Il est de bonne foi.

l’intimé.

Tout ce que les mortels ont de plus redoutable.
Semble s’être assemblé contre nous par hasard,
Je veux dire la brigue et l’éloquence. Car
D’un côté le crédit du défunt m’épouvante ;
Et, de l’autre côté, l’éloquence éclatante
De maître Petit-Jean m’éblouit…
....... Mais quelque défiance
Que nous doivent donner la susdite éloquence
fit le susdit crédit ; ce néanmoins, messieurs,
L’ancre de vos bontés nous rassure. D’ailleurs,
Devant le grand Dandin l’innocence est hardie ;
Oui, devant ce Caton de basse Normandie,
Ce soleil d’équité qui n’est jamais terni :
Victrix causa diis placuit, sed victa Catoni.

dandin.

Vraiment ! il plaide bien.

l’intimé.

Sans craindre aucune chose,
Je prends donc la parole, et je viens à ma cause.
Aristote, primo, péri Politicon,
Dit fort bien…

dandin.

Avocat, il s’agit d’un chapon,
Et non point d’Aristote et de sa Politique.

l’intimé.

Oui, mais l’autorité du Péripatétique
Prouverait que le bien, que le mal…

dandin.

Je prétends
Qu’Aristote n’a point d’autorité céans,
Au fait.

l’intimé.

Pausanias en ses Corinthiaques

dandin.

Au fait.

l’intimé.

Rebuffe…

dandin.

Au fait, vous dis-je.

l’intimé.

Le grand Jacques…

dandin.

Au fait, au fait, au fait.

l’intimé.

Hermenopul, in Prompt

dandin.

Oh ! je te vais juger.

Ecoutons, maintenant, l’Intimé exposer cette cause importante avec toute la gravite d’un avocat retors qui ne dédaigne pas la hâblerie gasconne.

Qu’arrive-t-il, messieurs ! On vient. Comment vient-on ?
On poursuit ma partie. On force une maison.
Quelle maison ? Maison de notre propre juge !
Ou brise le cellier qui nous sert de refuge ;
De vols, de brigandage on nous déclare auteur !
On nous traîne, on nous livre a notre accusateur,
A maître Petit-Jean, messieurs. Je vous atteste :
Qui ne sait que la loi Si quis canis, Digeste,
De vi, parographo, messieurs… Caponibus,
Est manifestement contraire à cet abus ?
Et quand il serait vrai que Citron, ma partie,
Aurait mangé le tout, messieurs, ou bien partie
Dudit chapon : qu’on mette en compensation
Ce que nous avons fait avant cette action.
Quand ma partie a-t-elle été réprimandée ?
Par qui notre maison a-t-elle été gardée ?
Quand avons-nous manqué d’aboyer au larron ?
Témoin trois procureurs, dont icelui Citron
A déchiré la robe. On en verra les pièces,
Pour nous justifier, voulez-vous d’autres pièces ? …

dandin.

............ Reposez-vous,
Et concluez.

l’intimé.

Puis donc qu’on nous permet de prendre
Haleine, et que l’on nous défend de nous étendre,
Je vais, sans rien omettre et sans prévariquer,
Compendieusement énoncer, expliquer,
Exposer à vos yeux l’idée universelle
De ma cause et des faits renfermés en icelle.

dandin.

Il aurait plus tôt fait de dire tout vingt fois
Que de l’abréger une. Homme, ou qui que tu sois,
Diable, conclus ; ou bien que le ciel te confonde !

l’intimé.

Je finis.

dandin.

Ah !

l’intimé.

Avant la naissance du monde…

dandin.

Avocat, ah ! passons au déluge.

l’intimé.

Avant donc
La naissance du monde et sa création,
Le monde, l’univers, tout, la nature entière
Était ensevelie au fond de la matière.
Les éléments, le feu, l’air, et la terre, et l’eau,
Enfoncés, entassés, ne faisaient qu’un monceau,
Une confusion, une masse sans forme,
Un désordre, un chaos, une cohue énorme :
Unus erat toto naturæ vultus in orbe
Quem Graeci dixere Chaos, rudis indigestaque moles.

Cette citation produit l’effet du coup de poing de la fin sur Dandin, qui se laisse tomber endormi.

Ainsi, lorsque les arts, la philosophie, la poésie dramatique faisaient des progrès qu’on n’a pas dépassés depuis, les avocats semblaient prendre à tâche de s’obstiner contre le mouvement général des esprits ; quand tout le monde marchait, ils tinrent à honneur de s’immobiliser comme des bornes. Le mauvais goût, chassé de tous côtés, chercha et trouva un asile dans la salle des Pas-Perdus. Cependant, dès cette époque même, quelques avocats réussirent à secouer de leur toge une partie de la vieille poussière des parlements, et à prendre un langage un peu moins revêtu des friperies de la scolastique. Mais ne nous hâtons pas de faire un crime de leur infériorité aux avocats de ce temps ; toute la faute en est à l’absence des libertés publiques et à la timidité des esprits qui en est la conséquence : nulle voix ne peut retentir là où il n’y a pas d’écho. Déjà cependant, commencent à briller, comme des astres qui se détachent du fond d’un ciel obscur, quelques orateurs dont les noms ne doivent pas être ensevelis dans l’oubli : Orner Talon, qui sut parler avec pureté et noblesse ; Lemaistre, qui se distingua par une élocution correcte, élégante et pleine de chaleur : Patru, qui unit la noblesse du style à celle des pensées ; Pellisson surtout, dont les trois discours adressés à Louis XIV, en faveur de Fouquet, sont restés le chef-d’œuvre de l’éloquence judiciaire en France au xviie siècle. Arrêtons-nous un instant sur ces discours, qui ne sont pas seulement un véritable monument d’éloquence, mais qui furent alors un grand acte de courage, puisque Pellisson se heurtait au ressentiment tout-puissant de Louis XIV, et qu’il ne craignait pas de prendre la défense d’un malheureux en faveur duquel aucune voix n’osa s’élever, si l’on en excepte celle de La Fontaine, et ce sera l’éternel honneur des lettres.

Nous ne quitterons pas le xviie siècle sans mentionner les noms de d’Aguesseau et de Cochin, bien qu’ils appartiennent aussi au siècle suivant. « Il n’est peut-être, dit M. Villemain, aucun nom plus justement et plus universellement honoré que celui du chancelier d’Aguesseau. Grand magistrat, ministre intègre et vertueux, savant profond, orateur célèbre, il a réuni les plus beaux titres d’illustration. Il semble même que la renommée, dont les erreurs ne sont jamais plus excusables que lorsqu’elle exagère le talent d’un homme de bien, a porté la réputation de son éloquence au delà des bornes de la vérité… Les ouvrages purement oratoires de d’Aguesseau, en portant l’empreinte d’une savante littérature et d’un travail ingénieux, ne sont pas, en effet, exempts de pompe et d’affectation. Son style, qui, pour le fond du langage, tient à la meilleure époque de notre idiome, est mêlé de faux ornements. Il porte la symétrie de l’élégance jusque dans la gravité des plus hautes fonctions du barreau et trop souvent manque à la fois de naturel et de grandeur… D’Aguesseau eut plutôt les artifices que les inspirations de l’éloquence, et fut un écrivain habile, mais non pas un grand écrivain. »

Cependant, la renommée de d’Aguesseau, de son éloquence noble et forte, égale à la grandeur de son caractère, est restée classique dans l’histoire de notre littérature.

Cochin doit compter également parmi les illustrations de notre barreau. Difficile à juger d’après les froids discours qui nous restent de lui, il se montre néanmoins plein d’éclat et d’entraînement dans ses improvisations.

Les fastes judiciaires du xviiie siècle nous présentent ensuite les noms de Loyseau de Mnuléon, dont le Mémoire pour Donat, Pierre et Louis Calas est resté un des chefs-d’œuvre du genre, et d’Elie de Beaumont qui, par son Mémoire pour Pierre-Paul Sirven, eut la gloire et le bonheur d’arracher un innocent au supplice, et de venger, par le triomphe de la raison sur le fanatisme, l’humanité trop outragée par l’assassinat juridique de Calas.

Nous citerons encore comme dignes du mémoire, à des degrés divers, les noms de Servan, de Dupaty, de Linguet, de Target, de Tronchet et de Bergasse. Nous venons de rappeler Linguet ; donnons en passant un exemple assez piquant de sa promptitude de repartie. Un jour, un certain Coquelet, avocat de la partie adverse, s’avisa en plaidant, croyant faire rire à ses dépens, de ne prononcer son nom qu’en le scandant ainsi : maître Lin-gu-et… Maître Linguet ne sourcilla point ; mais quand il se leva pour parler à son tour, il débuta ainsi : « Messieurs, vous venez d’entendre maître Co-qu-e-let… »

Maître Coquelet fut le seul à ne pas rire.

Au-dessus de tous ces noms, il faut placer ceux de La Chalotais, de Lally-Tollendal et de Beaumarchais. Arrêtons-nous un instant sur ces deux derniers.

On sait que le comte de Lally-Tollendal, général plein de courage et d’expérience, avait été chargé par le gouvernement français d’une expédition dont il avait lui-même conçu le dessein, et dont le succès, en ruinant la puissance des Anglais dans l’Inde, devait y assurer à jamais la nôtre. Mais, poursuivi par une cabale impitoyable qui le laissa abandonné à lui-même, sans ressources, sans vivres, sans renforts, il échoua dans cette entreprise, et, à son retour en France, il se vit traduit devant un tribunal incompétent, composé de ses ennemis les plus acharnés. Condamné à mort, il fut conduit bâillonné à l’échafaud, et mourut en léguant à son fils le soin de venger sa mémoire. « Toute la France, dit Laharpe, a partagé l’intérêt de cette cause. Elle accompagnait les pas du jeune comte de Lally-Tollendal avec des vœux et des applaudissements ; elle l’a pour ainsi dire porté dans ses bras. Il est permis aujourd’hui de croire avec lui que son père est justifié, du moins par la voix publique, par celle de l’histoire, ’ et surtout par le temps, qui, dans l’accusation de trahison, semble prouver l’innocence quand il ne révèle pas les crimes. Le fils a déployé dans ses mémoires l’éloquence de l’âme, qui est le premier talent de l’orateur. Son style est plein de noblesse, d’intérêt et d’énergie. Personne n’a porté plus loin cet art, qu’on admire dans Cicéron, de donner aux preuves une force progressive, de faire naître une grande attente et de la remplir. »

Ce plaidoyer éloquent obtint le plus doux triomphe que pût ambitionner la piété filiale du comte de Lally-Tollendal, la complète réhabilitation de la mémoire de son père.

Disons maintenant un mot des fameux Mémoires de Beaumarchais, dont nous avons donné déjà l’analyse à la suite de la biographie de leur auteur. Tout serait à citer dans ce chef-d’œuvre de verve, de malice, de dialectique et d’éloquence.

Nous nous contenterons de rapporter le passage où Beaumarchais immole à la risée publique un certain Marin, gazetier, qui s’était fourvoyé parmi ses ennemis :

« Après avoir détourné la tête et les yeux d’une médecine, repoussé vingt fois la main qui la présente, un enfant, malgré sa répugnance, finit pourtant par l’avaler, et même à grands flots, pour en être plus tôt quitte. Et moi aussi, je suis un grand enfant. Voilà je ne sais combien de fois que je prends la plume pour faire l’article Marin et la remets dans l’encrier. A quoi bon ces délais ? Malgré la nausée, il faut toujours y venir. Allons donc ! Une bonne résolution et finissons ! Quitte à se rincer la bouche après en avoir parlé.

… Mais ces nouvelles à la main, me dirat-on, cette gazette étrangère ne sont pas de lui. Elles en sont, et voici une preuve. Premièrement, l’article de ce procès y est toujours mal fait, lourdement ruminé, pesamment écrit : vous conviendrez que c’est là une forte présomption contre Marin. Deuxièmement, cet article dit toujours beaucoup de mal de moi ; ma preuve se renforce contre Marin. Troisièmement, l’article dit toujours du bien de Marin, vante à l’excès la noblesse et la beauté de son style, la distinction avec laquelle il remplit les places qui lui ont été confiées. La preuve est complète : il n’y a plus moyen d’en douter. C’est Marin qui a fait l’article, puisque l’article dit du bien de Marin.

… Regardant le mal d’autrui comme un songe, et ne s’occupant dans la gazette que de l’intérêt du gazetier, voyez comment il s’explique ici : Ses Mémoires méritent le nom de libelles, puisqu’il s’efforce de diffamer un homme de lettres (M. Marin). Marin le gazetier, homme de lettres ! … Comme un facteur de la petite poste, qui a toujours rempli avec distinction les places qui lui ont été confiées par le gouvernement. Avec distinction ! Cette distinction de Marin me rappelle un propos que le jacobin Affinati, dans son bouquin intitulé : le Monde sens dessus dessous par les menées du diable, fait tenir à Dieu, parlant au pécheur Adam : De toutes mes créatures, vous seul avez forfait ; avancez, maraud, que je vous timbre au front, que je vous distingue.

Avancez, Marin, suivons votre article : Quoique l’on puisse lire les Mémoires du sieur de Beaumarchais qu’avec mépris, il s’en est vendu plus de dix mille exemplaires eu deux jours. Je n’entends pas cette phrase ; elle sera toujours louche, à moins d’y restituer quelques mots oubliés à l’impression. Pour qu’elle ait le sens commun, voici comment elle a dû être faite : « Quoique l’on (ne) puisse lire les Mémoires du sieur de Beaumarchais qu’avec mépris (pour Marin), il s’en est cependant veudu plus de dix mille exemplaires en deux jours. » Cela est clair ; voilà qui s’entend ; car le mépris que mes Mémoires auraient inspiré pour moi les eût laissés moisir au grenier du libraire, au lieu que le mépris dont ils ont couvert Marin a tendu tout le monde avide de les lire : il s’en est vendu plus de dix mille exemplaires en deux jours. Ou bien, malgré le dégoût qu’on avait d’entendre parler de Marin dans ces Mémoires, il s’en est cependant vendu, etc. Cette version est bonne aussi ; mais les gens de lettres préfèrent la première, comme plus sûre et plus naturelle : « Quoiqu’on ne puisse lire les Mémoires du sieur de Beaumarchais qu’avec mépris pour Marin, il s’en est cependant vendu dix mille exemplaires en deux jours. » On y rêverait cent ans, que voilà le vrai sens de la phrase, ou elle n’eu a aucun… Mais le sieur Marin était irréprochable… Vous voyez bien, lecteurs, qu’il n’y a que Marin au monde qui puisse écrire de pareils contes sur Marin : « Il va le poursuivre au criminel pour obtenir une réparation éclatante de toutes les calomnies du sieur de Beaumarchais. » Cela va bien, Marin avait déjà dit dans sa requête imprimée qu’en le montrant au doigt j’avais insulté la majesté du trône, berné le gouvernement, injurié la magistrature, bravé les tribunaux, outragé les citoyens, car

Qui méprise Marin n’estime point son roi,
Et n’a, selon Marin, ni Dieu, ni foi, ni loi.

Mais gardez-vous bien d’en croire ce monsieur-là : à son compte, il n’y aurait pas un bon Français dans la capitale.

… Ah ! monsieur Marin, que vous êtes loin aujourd’hui de cet heureux temps où, la tête rase et nue, en long habit de lin, symbole de votre innocence, vous enchantiez toute la Ciotat par la gentillesse de vos fredons sur l’orgue, ou la mélodie de vos chants au lutrin ? (La Ciotat, petite ville de Provence où le petit Marin fredonnait pour de petits gages, sur un petit orgue, dans une petite paroisse.) Si quelque prophète arabe, abordant sur la côte, et vous voyant un si joli enfant… de chœur, vous eût dit : « Petit abbé, prenez bien garde à vous, mon ami ; ayez toujours la crainte de Dieu devant les yeux, mon enfant, sinon vous deviendrez un jour… » tout ce que vous êtes devenu enfin ; ne vous seriez-vous pas écrié, dans votre tunique de lin, comme un autre Joas :

Dieu, qui voyez mon trouble et mon affliction,
Détournez loin de mot sa malédiction,
Et ne souffrez jamais qu’elle soit accomplie ;
Faite» que Marin meure avant qu’il vous oublie.

Il a bien changé le Marin ! Et voyez comme le mal gagne et se propage, quand on néglige de l’arrêter dans son principe. Ce Marin, qui d’abord pour toute volupté,

.....Quelquefois à l’autel
Présentait au vicaire ou l’offrande ou le sel,

quitte la jaquette et les galoches, ne fait qu’un saut de l’orgue au préceptorat, à la censure, au secrétariat, eniin à la Gazette, et voilà mon Marin, les bras retroussés jusqu’au coude, pêchant le mal en eau trouble : il en dit hautement tant qu’il veut ; il en fait sourdement tant qu’il peut. Il arrête d’un côté les réputations qu’il déchire de l’autre : censures, gazettes étrangères, nouvelles à la main, à la bouche, à la presse, journaux, petites feuilles, lettres courantes, fabriquées, supposées, distribuées, etc., etc., encore quatre pages d’et cætera, tout est en usage. Ecrivain éloquent, censeur habile, gazetier véridique, journalier de pamphlets ; s’il marche, il rampe comme un serpent ; s’il s’élève, il tombe comme un crapaud. Enfin, se traînant, gravissant et par sauts et par bonds, toujours le ventre à terre, il a tant fait qu’enfin nous avons vu du nos jours le corsaire allant à Versailles, tiré à quatre chevaux sur la route, portant pour armoiries aux panneaux de son carrosse, dans un cartel en forme de buffet d’orgue, une Renommée en champ de gueules, les ailes coupées, la tête en bas, raclant de la trompette marine, et, pour tout support, une figure dégoûtée représentant l’Europe, le tout embrassé d’une soutanelle doublée de gazettes, et surmontée d’un bonnet carré avec cette légende à la houppe : Ques-a-co ? Marin. »

Quelle verve ! Quelle ironie ! Quel déluge de sarcasmes ? Essayez donc de vous relever dans l’opinion publique après une aussi sanglante exécution, eussiez-vous vingt fois plus d’esprit que ledit sieur Marin.

Nous abordons enfin la Révolution. Plusieurs des orateurs politiques de cette grande époque s’illustrèrent également dans l’éloquence du barreau : Mirabeau, Thouret, Barnave, Lanjuinais, Vergniaud, Mounier, etc. Mais l’événement judiciaire qui domine tous les autres, un des plus mémorables qu’aient eu à enregistrer les annales de l’histoire, c’est le procès de Louis XVI. Plusieurs orateurs distingués se partagèrent la charge de le défendre devant la redoutable barre de la Convention : Lally-Tollendal, Tronchet, Malesherbes et de Sèze. C’est le plaidoyer de ce dernier qui est resté le plus célèbre. Tout le monde connaît cette apostrophe qu’il adressa aux membres de la Convention : « Citoyens, je cherche parmi vous des juges, et je n’y vois que des accusateurs. » Beaucoup de gens admirent encorent sur parole ce mouvement oratoire, qui, en définitive, constitue la doctrine politique la plus monstrueuse. Au compte de l’éloquant avocat, la nation tout