Page:Lautreamont - Chants de Maldoror.djvu/131

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les mêmes idées que moi !… J’étais en face de mon premier amour !


La Seine entraîne un corps humain. Dans ces circonstances, elle prend des allures solennelles. Le cadavre gonflé se soutient sur les eaux ; il disparaît sous l’arche d’un pont ; mais, plus loin, on le voit apparaître de nouveau, tournant lentement sur lui-même, comme une roue de moulin, et s’enfonçant par intervalles. Un maître de bâteau, à l’aide d’une perche, l’accroche au passage, et le ramène à terre. Avant de transporter le corps à la Morgue, on le laisse quelque temps sur la berge, pour le ramener à la vie. La foule compacte se rassemble autour du corps. Ceux qui ne peuvent pas voir, parce qu’ils sont derrière, poussent, tant qu’ils peuvent, ceux qui sont devant. Chacun se dit : « Ce n’est pas moi qui me serais noyé. » On plaint le jeune homme qui s’est suicidé ; on l’admire ; mais, on ne l’imite pas. Et, cependant, lui, a trouvé très-naturel de se donner la mort, ne jugeant rien sur la terre capable de le contenter, et aspirant plus haut. Sa figure est distinguée, et ses habits sont riches. A-t-il encore dix-sept ans ? C’est mourir jeune ! La foule paralysée continue de jeter sur lui ses yeux immobiles… Il se fait nuit. Chacun se retire silencieusement. Aucun n’ose ren-