Page:Lavignac - Le Voyage artistique à Bayreuth, éd7.djvu/120

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en musique, et il eût été sans doute fort mal à son aise s’il lui eût fallu travailler sur le libretto d’un autre, ce qu’il n’a jamais essayé de faire[1]. Ce qui fait sa grande et incomparable force, c’est qu’il résume en lui seul tous les éléments nécessaires à la mise debout de l’œuvre d’art dramatique telle qu’il l’a conçue, impressionnante et émotionnante au suprême degré, laquelle œuvre reste véritablement une, d’un bloc, et par cela même plus émouvante et plus attachante.

Il écrivait ses poèmes longtemps avant d’en écrire la musique ; mais en les écrivant il devait la pressentir, cette musique ; elle devait même planer, en quelque sorte, sur sa conception poétique, et y être contenue à l’état latent ; car sans elle, sans sa vivification, ces mêmes poèmes resteraient incomplets ; on y sent un besoin de quelque chose de supérieur, de plus élevé, qui ne peut être que la musique et qui a, peut-être même inconsciemment, présidé à leur inspiration.

Là où cesse la puissance du langage parlé, commence l’action de la musique, seule capable de dépeindre ou provoquer des états d’âme, et là aussi où la parole devient insuffisante, Wagner poète doit appeler le concours de Wagner musicien.

Il ne faut pas plus voir en lui un poète qui sait mettre ses vers en musique, qu’un compositeur qui se fait à lui-même ses poèmes ; mais un génie complet, un philosophe, un grand penseur, qui a à sa disposition deux langages, deux moyens de se faire comprendre de ses semblables, la poésie et la musique, et qui, des deux réunis, n’en fait plus qu’un seul, d’une intensité expressive absolument incomparable. Par la poésie, Wagner nous révèle l’homme

  1. N’entrent pas en ligne ici ses mélodies, fort remarquables d’ailleurs, sur des poésies de Victor Hugo, Ronsard et Henri Heine.