Page:Lavignac - Le Voyage artistique à Bayreuth, éd7.djvu/79

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« Il exerce sur ceux qui l’approchent un irrésistible ascendant, non seulement par son génie musical, par l’originalité de son esprit, par la variété de ses connaissances, mais surtout par une puissance de tempérament et de volonté qui éclate dans toute sa personne. On sent qu’on est en présence d’une sorte de force de la nature qui s’agite et se déchaîne avec une violence presque irresponsable. Quand on l’a vu de près, tantôt d’une gaieté sans frein, livrant passage à un torrent de plaisanteries et de rires ; tantôt furieux, ne respectant dans ses attaques ni titres, ni puissances, ni amitiés, toujours obéissant à l’éclat irrésistible du premier mouvement, on finit par ne plus lui reprocher trop durement les manques de goût, de tact et de délicatesse dont il s’est rendu coupable ; on est tenté, si l’on est juif, de lui pardonner sa brochure sur le Judaïsme dans la musique ; si l’on est Français, sa pantalonnade sur la Capitulation de Paris ; si l’on est Allemand, toutes les injures dont il a accablé l’Allemagne ; comme on pardonne à Voltaire la Pucelle et certaines lettres à Frédéric II ; à Shakespeare certaines plaisanteries et certains sonnets, à Gœthe certaines pièces ridicules, à Victor Hugo certains discours. On le prend tel qu’il est, plein de défauts, peut-être parce qu’il est plein de génie, mais incontestablement un homme supérieur, un des plus grands et des plus extraordinaires que notre siècle ait produits. »

Mme  Judith Gautier, qui a vécu dans l’intimité de Tribschen[1] et avait voué au Maître une profonde admiration, dit à son tour : « Il y a dans le caractère de Richard Wagner, il faut bien le reconnaître, des violences et des rudesses qui sont cause qu’il est si souvent méconnu, mais seule-

  1. Habitation de Wagner sur le lac des Quatre-Cantons, en face de Lucerne.