Page:Le Bon - Psychologie des foules, Alcan, 1895.djvu/114

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
100
PSYCHOLOGIE DES FOULES

ment et la nécessité des armées permanentes. La troisième a failli être tentée il n’y a pas longtemps et le sera sûrement un jour. Pour faire admettre à tout un peuple que l’immense armée allemande n’était pas, comme on l’enseignait avant 1870, une sorte de garde nationale inoffensive[1], il a fallu l’effroyable guerre qui nous a coûté si cher. Pour reconnaître que le protectionnisme ruine les peuples qui l’acceptent, il faudra au moins vingt ans de désastreuses expériences. On pourrait multiplier indéfiniment ces exemples.


§ 4. – LA RAISON

Dans l’énumération des facteurs capables d’impressionner l’âme des foules, on pourrait se dispenser entièrement de mentionner la raison, s’il n’était nécessaire d’indiquer la valeur négative de son influence.

  1. L’opinion des foules était formée, dans ce cas, par ces associations grossières de choses dissemblables dont j’ai précédemment exposé le mécanisme. Notre garde nationale d’alors, étant composée de pacifiques boutiquiers sans trace de discipline, et ne pouvant être prise au sérieux, tout ce qui portait un nom analogue éveillait les mêmes images, et était considéré par conséquent comme aussi inoffensif. L’erreur des foules était partagée alors, ainsi que cela arrive si souvent pour les opinions générales, par leurs meneurs. Dans un discours prononcé le 31 décembre 1867 à la Chambre des députés, et reproduit par M. E. Ollivier dans un livre récent, un homme d’État qui a bien souvent suivi l’opinion des foules, mais ne l’a jamais précédée, M. Thiers, répétait que la Prusse, en dehors d’une armée active à peu près égale en nombre à la nôtre, ne possédait qu’une garde nationale analogue à celle que nous possédions et par conséquent sans importance ; assertions aussi exactes que les prévisions du même homme d’État sur le peu d’avenir des chemins de fer.