Page:Le Bon - Psychologie des foules, Alcan, 1895.djvu/89

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
75
FACTEURS LOINTAINS DES CROYANCES


§ 4. — LES INSTITUTIONS POLITIQUES ET SOCIALES

L’idée que les institutions peuvent remédier aux défauts des sociétés ; que le progrès des peuples est la conséquence du perfectionnement des constitutions et des gouvernements et que les changements sociaux peuvent se faire à coups de décrets ; cette idée, dis-je, est très généralement répandue encore. La Révolution française l’eut pour point de départ et les théories sociales actuelles y prennent leur point d’appui.

Les expériences les plus continues n’ont pas réussi encore à ébranler sérieusement cette redoutable chimère. C’est en vain que philosophes et historiens ont essayé d’en prouver l’absurdité. Il ne leur a pas été difficile pourtant de montrer que les institutions sont filles des idées, des sentiments et des mœurs ; et qu’on ne refait pas les idées, les sentiments et les mœurs en refaisant les codes. Un peuple ne choisit pas ses institutions à son gré, pas plus qu’il ne choisit la couleur de ses yeux ou de ses cheveux. Les institutions et les gouvernements sont le produit de la race. Ils ne sont pas les créateurs d’une époque, mais en sont les créations. Les peuples ne sont pas gouvernés comme le voudraient leurs caprices d’un moment, mais comme l’exige leur caractère. Il faut des siècles pour former un régime politique, et des siècles pour le changer. Les institutions n’ont aucune vertu intrinsèque ; elles ne sont ni bonnes ni mauvaises en elles-mêmes. Celles qui sont bonnes à un moment donné pour un peuple donné, peuvent être détestables pour un autre.