Page:Le Grand Meaulnes.djvu/152

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— Votre bandeau est rouge de sang et vos habits sont déchirés.

L’autre le regarda un instant, non pas surpris de ce qu’il disait, mais profondément ému de le lui entendre dire.

— Ils ont voulu, répondit-il, m’arracher votre plan tout à l’heure, sur la place. Quand ils ont su que je voulais revenir ici balayer la classe, ils ont compris que j’allais faire la paix avec vous, ils se sont révoltés contre moi. Mais je l’ai tout de même sauvé, ajouta-t-il fièrement, en tendant à Meaulnes le précieux papier plié.

Meaulnes se tourna lentement vers moi :

— Tu entends ? dit-il. Il vient de se battre et de se faire blesser pour nous, tandis que nous lui tendions un piège !

Puis cessant d’employer ce « vous » insolite chez des écoliers de Sainte-Agathe :

— Tu es un vrai camarade, dit-il, et il lui tendit la main.

Le comédien la saisit et demeura sans parole une seconde, très troublé, la voix coupée… Mais bientôt avec une curiosité ardente il poursuivit :

— Ainsi vous me tendiez un piège ! Que c’est amusant ! Je l’avais deviné et je me disais : ils vont être bien étonnés, quand, m’ayant repris ce plan, ils s’apercevront que je l’ai complété…

— Complété ?

— Oh ! attendez ! Pas entièrement…

Quittant ce ton enjoué, il ajouta gravement et lentement, se rapprochant de nous :