Page:Le Grand Meaulnes.djvu/166

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avec la roulotte, nous reconnûmes, en fin maillot noir, front bandé, le meneur-de-jeu, notre ami.

À peine étions-nous assis que bondissait sur la piste un poney tout harnaché à qui le jeune personnage blessé fit faire plusieurs tours, et qui s’arrêtait toujours devant l’un de nous lorsqu’il fallait désigner la personne la plus aimable ou la plus brave de la société ; mais toujours devant Mme Pignot lorsqu’il s’agissait de découvrir la plus menteuse, la plus avare ou « la plus amoureuse… » Et c’étaient autour d’elle des rires, des cris et des coin-coin, comme dans un troupeau d’oies que pourchasse un épagneul !…

À l’entracte, le meneur-de-jeu vint s’entretenir un instant avec M. Seurel, qui n’eût pas été plus fier d’avoir parlé à Talma ou à Léotard ; et nous, nous écoutions avec un intérêt passionné tout ce qu’il disait : de sa blessure — refermée ; de ce spectacle — préparé durant les longues journées d’hiver ; de leur départ — qui ne serait pas avant la fin du mois, car ils pensaient donner jusque-là des représentations variées et nouvelles.

Le spectacle devait se terminer par une grande pantomime.

Vers la fin de l’entracte, notre ami nous quitta, et, pour regagner l’entrée de la roulotte, fut obligé de traverser un groupe qui avait envahi la piste et au milieu duquel nous aperçûmes soudain Jasmin Delouche. Les femmes et les filles s’écartèrent. Ce costume noir, cet air blessé,