Page:Le Grand Meaulnes.djvu/21

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La Ferté-d’Angillon, à quatorze kilomètres de Sainte-Agathe. Veuve — et fort riche, à ce qu’elle nous fit comprendre — elle avait perdu le cadet de ses deux enfants, Antoine, qui était mort un soir au retour de l’école, pour s’être baigné avec son frère dans un étang malsain. Elle avait décidé de mettre l’aîné, Augustin, en pension chez nous pour qu’il pût suivre le Cours Supérieur.

Et aussitôt elle fit l’éloge de ce pensionnaire qu’elle nous amenait. Je ne reconnaissais plus la femme aux cheveux gris, que j’avais vue courbée devant la porte, une minute auparavant, avec cet air suppliant et hagard de poule qui aurait perdu l’oiseau sauvage de sa couvée.

Ce qu’elle contait de son fils avec admiration était fort surprenant : il aimait à lui faire plaisir, et parfois il suivait le bord de la rivière, jambes nues, pendant des kilomètres, pour lui rapporter des œufs de poules d’eau, de canards sauvages, perdus dans les ajoncs… Il tendait aussi des nasses… L’autre nuit, il avait découvert dans le bois une faisane prise au collet…

Moi qui n’osais plus rentrer à la maison quand j’avais un accroc à ma blouse, je regardais Millie avec étonnement.

Mais ma mère n’écoutait plus. Elle fit même signe à la dame de se taire ; et, déposant avec précaution son « nid » sur la table, elle se leva silencieusement comme pour aller surprendre quelqu’un…

Au-dessus de nous, en effet, dans un réduit