Page:Le Grand Meaulnes.djvu/240

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homme lent à commencer de parler, ainsi que sont les solitaires, les chasseurs et les hommes d’aventures, il avait pris une décision sans se soucier des mots qu’il faudrait pour l’expliquer. Et maintenant que j’étais devant lui, il commençait seulement à ruminer péniblement les paroles nécessaires.

Cependant, je lui racontais avec gaieté comment j’étais venu, où j’avais passé la nuit et que j’avais été bien surpris de voir Mme Meaulnes préparer le départ de son fils…

— Ah ! elle t’a dit ?… demanda-t-il.

— Oui. Ce n’est pas, je pense, pour un long voyage ?

— Si, un très long voyage.

Un instant décontenancé, sentant que j’allais tout à l’heure, d’un mot, réduire à néant cette décision que je ne comprenais pas, je n’osais plus rien dire et ne savais pas où commencer ma mission.

Mais lui-même parla enfin, comme quelqu’un qui veut se justifier.

— Seurel ! dit-il, tu sais ce qu’était pour moi mon étrange aventure de Sainte-Agathe. C’était ma raison de vivre et d’avoir de l’espoir. Cet espoir-là perdu, que pouvais-je devenir ?… Comment vivre à la façon de tout le monde !

» Eh bien j’ai essayé de vivre là-bas, à Paris, quand j’ai vu que tout était fini et qu’il ne valait plus même la peine de chercher le Domaine perdu… Mais un homme qui a fait une fois un