Page:Le Grand Meaulnes.djvu/313

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sens, près d’elle, presque heureux ; je lui réponds chaque fois par un sourire.

Tout autour de nous, il y avait des femmes trop décolletées. Et nous plaisantions. Elle souriait d’abord, puis elle a dit : « Il ne faut pas que je rie. Moi aussi je suis trop décolletée ». Et elle s’est enveloppée dans son écharpe. En effet, sous le carré de dentelle noire, on voyait que, dans sa hâte à changer de toilette, elle avait refoulé le haut de sa simple chemise montante.


Il y a en elle je ne sais quoi de pauvre et de puéril ; il y a dans son regard je ne sais quel air souffrant et hasardeux qui m’attire. Près d’elle, le seul être au monde qui ait pu me renseigner sur les gens du Domaine, je ne cesse de penser à mon étrange aventure de jadis… J’ai voulu l’interroger de nouveau sur le petit hôtel du boulevard. Mais à son tour, elle m’a posé des questions si gênantes que je n’ai su rien répondre. Je sens que désormais nous serons, tous les deux, muets sur ce sujet. Et pourtant je sais aussi que je la reverrai. À quoi bon ? Et pourquoi ?… Suis-je condamné maintenant à suivre à la trace tout être qui portera en soi le plus vague, le plus lointain relent de mon aventure manquée ?…


À minuit, seul, dans la rue déserte, je me demande ce que me veut cette nouvelle