Page:Le Grand Meaulnes.djvu/330

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ajouta-t-elle, mais en écrivant à leur ancienne adresse on fera suivre leurs lettres. »

En revenant sur ses pas, sa bicyclette à la main, à travers le jardinet, il pensait :

— Elle est partie… Tout est fini comme je l’ai voulu… C’est moi qui l’ai forcée à cela. « Je deviendrai certainement une fille perdue », disait-elle. Et c’est moi qui l’ai jetée là ! C’est moi qui ai perdu la fiancée de Frantz !

Et tout bas il se répétait avec folie : « Tant mieux ! Tant mieux ! » avec la certitude que c’était bien « tant pis » au contraire et que, sous les yeux de cette femme, avant d’arriver à la grille, il allait buter des deux pieds et tomber sur les genoux.


Il ne pensa pas à déjeuner et s’arrêta dans un café où il écrivit longuement à Valentine, rien que pour crier, pour se délivrer du cri désespéré qui l’étouffait. Sa lettre répétait indéfiniment : « Vous avez pu ! Vous avez pu !… Vous avez pu vous résigner à cela ! Vous avez pu vous perdre ainsi ! »

Près de lui des officiers buvaient. L’un d’eux racontait bruyamment une histoire de femme qu’on entendait par bribes : « … Je lui ai dit… vous devez bien me connaître… Je fais la partie avec votre mari tous les soirs ! » Les autres riaient et, détournant la tête, crachaient derrière les banquettes. Hâve et poussiéreux, Meaulnes les