Page:Le Grand Meaulnes.djvu/45

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l’homme, je vais vous laisser la voiture. J’ai déjà perdu beaucoup de temps et l’on doit s’inquiéter, chez moi.

Mon père accepta. De cette façon nous pourrions dès ce soir reconduire l’attelage à La Belle-Étoile sans dire ce qui s’était passé. Ensuite, on déciderait de ce qu’il faudrait raconter aux gens du pays et écrire à la mère de Meaulnes… Et l’homme fouetta sa bête, en refusant le verre de vin que nous lui offrions.

Du fond de sa chambre où il avait rallumé la bougie, tandis que nous rentrions sans rien dire et que mon père conduisait la voiture à la ferme, mon grand-père appelait :

— Alors ? Est-il rentré, ce voyageur ?

Les femmes se concertèrent du regard, une seconde :

— Mais oui, il a été chez sa mère. Allons, dors. Ne t’inquiète pas !

— Eh bien, tant mieux. C’est bien ce que je pensais, dit-il.

Et, satisfait, il éteignit sa lumière et se tourna dans son lit pour dormir.

Ce fut la même explication que nous donnâmes aux gens du bourg. Quant à la mère du fugitif, il fut décidé qu’on attendrait pour lui écrire. Et nous gardâmes pour nous seuls notre inquiétude qui dura trois grands jours. Je vois encore mon père rentrant de la ferme vers onze heures, sa moustache mouillée par la nuit, discutant avec Millie d’une voix très basse, angoissée et colère…