Page:Le Rouge et le Noir.djvu/159

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Giraud n’est-il pas de la congrégation ? ses quatre enfants n’ont-ils pas des bourses ? Le pauvre homme ! Il faut que la commune de Verrières lui fasse un supplément de traitement de cinq cents francs, voilà tout.

— Et dire que le maire n’a pas pu l’empêcher ! remarquait un troisième. Car il est ultra, lui, à la bonne heure ; mais il ne vole pas.

— Il ne vole pas ? reprit un autre ; non, c’est pigeon qui vole. Tout cela entre dans une grande bourse commune, et tout se partage au bout de l’an. Mais voilà ce petit Sorel ; allons-nous-en.

Julien rentra de très mauvaise humeur ; il trouva madame de Rênal fort triste.

— Vous venez de l’adjudication ? lui dit-elle.

— Oui, madame, où j’ai eu l’honneur de passer pour l’espion de M. le maire.

— S’il m’avait cru, il eût fait un voyage.

À ce moment, M. de Rênal parut ; il était fort sombre. Le dîner se passa sans mot dire. M. de Rênal ordonna à Julien de suivre les enfants à Vergy, le voyage fut triste. Madame de Rênal consolait son mari.

— Vous devriez y être accoutumé, mon ami.

Le soir, on était assis en silence autour du foyer domestique ; le bruit du hêtre enflammé était la seule distraction. C’était un des moments de tristesse qui se rencontrent dans les familles les plus unies. Un des enfants s’écria joyeusement :

— On sonne ! on sonne !

— Morbleu ! si c’est M. de Saint-Giraud qui vient me relancer sous prétexte de remerciement, s’écria le maire, je lui dirai son fait ; c’est trop fort. C’est au Valenod qu’il en aura l’obligation, et c’est moi qui suis compromis. Que dire, si ces maudits journaux jacobins vont s’emparer de cette anecdote, et faire de moi un M. Nonante-cinq ?

Un fort bel homme, au gros favoris noirs, entrait en ce moment à la suite du domestique.

— M. le maire, je suis il signor Géronimo. Voici une lettre que M. le chevalier de Beauvaisis, attaché à l’ambassade de