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sentaient de force à traverser le hallier qui nous séparait de Roubouga.

Paysage dans l’Ousagara. — Dessin de Eug. Lavieille d’après Burton.

« Nous venions de nous arrêter à l’ombre, après avoir franchi ce dernier territoire, lorsque je vis arriver Maoula, chef d’un gros village voisin. Dans ses prétentions à l’homme policé, il ne pouvait pas permettre à un blanc de passer sur ses domaines sans lui soutirer un peu d’étoffe, sous prétexte de lui offrir un bouvillon. Comme la plupart des chefs de la Terre de la Lune, c’était un grand vieillard décharné, anguleux, ayant de gros membres, la peau noire, huileuse et ridée ; une quantité de petits tortillons enduits de graisse, de beurre fondu, d’huile de ricin, pendillaient autour de sa tête chauve ; une odeur d’encens bouilli s’exhalait du vieux morceau d’indienne qui lui enveloppait les hanches et de l’espèce de manteau qui lui tombait des épaules. Une quantité d’anneaux de fil de laiton roulé autour d’une masse de poil de buffle ou de zèbre, lui couvraient les deux jambes ; et quatre petits disques, taillés dans une coquille blanche, ornaient les cothurnes de ses sandales. Il nous salua d’un air bienveillant, nous conduisit à son village, donna des ordres pour qu’on nettoyât des cases à notre intention, et nous quitta pour aller chercher son bouvard. Il revint quelques instants après, nous faisant amener l’un de ses taureaux, qui s’échappa, furieux comme un buffle, et dispersa tout le monde sur sa route, jusqu’au moment où deux balles du capitaine Speke l’étendirent sur le sable. Le vieux Maoula reçut en échange un morceau d’étoffe rouge, deux pièces de calicot, et demanda tout ce qu’il aperçut, y compris des capsules, bien qu’il n’eût pas de fusil ; en outre, il fit tous ses efforts pour nous retenir, dans l’espérance que je guérirais son fils de la fièvre, et que je jetterais un sort à l’un des chefs du voisinage, qui lui était hostile. Le soir, on vint me dire que la palissade était entourée d’une troupe de nègres furieux ; je sortis du village, et découvris en dehors de l’estacade une longue rangée d’hommes paisiblement assis, bien qu’ils fussent armés en guerre. Je fis déposer nos marchandises en lieu sûr, et me promis de quitter le lendemain notre vieux chef, sans plus me mêler de ses querelles du voisinage que de la santé de son fils.

Depuis Zangomero jusqu’aux frontières de l’Ounyanyembé, sur une ligne de plus de cent vingt lieues, nous avions traversé bien des têtes de vallées s’ouvrant au sud, et portant leurs eaux au Loufidji, ce fleuve que, dès 1811, le capitaine Hardi, de la marine de Bombay, a signalé comme une des grandes artères de l’Afrique centrale. Que de fatigues seront épargnées à ceux de nos successeurs qui pourront profiter de cette voie naturelle !

Traduit par Mme  Loreau.

(La suite à la prochaine livraison.)