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iv DISCOURS

une autorité , leurs scrupules et leurs disputes sur l’usage des mots et de9 phrases de la Langue.

Depuis , les Langues ont été considérées sous des points de vue plus philoso- phiques ; et les bons Dictionnaires , qui sont les archives des Langues , sont devenus des ouvrages plus difficiles et plus importans.

On a vu , depuis , que les mots ne nous servoient pas seulement , comme on le croyoit , à nous communiquer nos pensées , mais qu’ils nous étoient nécessaires pour penser ; on en a conclu qu’il ne falloit pas s’occuper seulement des usages très - divers qu’on en faisoit , mais de l’usage constant qu’on en devoit faire : on en a conclu qu’il ne falloit pas consulter le beau langage du beau monde , comme une autorité qui décide ou tranche tout ; parce que le beau monde pense et parle souvent très - mal ; parce qu’il laisse périr les étymologies et les analogies ; parce qu’il ferme les yeux aux sillons de lumière que tracent les mots dans leur passage du sens propre au sens figuré ; parce qu’enfin la différence est extrême entre le beau langage formé des fantaisies du beau monde , qui sont très - bizarres , et le bon langage , composé des vrais rapports des mots et des idées , qui ne sont jamais arbitraires : on en a conclu encore que la vraie Langue d’un Peuple éclairé n’existe réellement que dans la bouche et dans les écrits de ce petit nombre de personnes qui pensent et parlent avec justesse 3 qui attachent constamment les mêmes idées aux mêmes mots , qui , guidés par un sentiment exquis , plus que par une érudition pénible , éclairent tous leurs discours de toute lumière des étymologies, des analogies, et de ces figures du langage, de ces tropes , qui font sortir avec éclat tous les traits et tous les contours de la pensée. En puisant dans ces sources , les Auteurs d’un Dictionnaire ne sont pas seulement utiles à ceux qui n’ont d’autre prétention que de parler et d’écrire purement et correctement une Langue ; ils le sont à la Langue elle - même ’, ils le sont au bon sens et à la raison de tout un Peuple. Ces deux assertions pourront surprendre , la dernière surtout. Elles sont pourtant d’une vérité assez simple , pour être rendues facilement évidentes , et en peu de mots. Une Langue , comme l’esprit du Peuple qui la parle , est dans une mobilité continuelle : dans ce mouvement , qui ne peut jamais s’arrêter , elle perd des mots , elle en acquiert. Quelquefois ses pertes l’enrichissent , et ses acquisitions la défigurent : quelquefois ses pertes sont réellement des pertes , et ce qu’elle acquiert n’est pas une richesse : quelquefois elle se perfectionne également par les mots qu’elle adopte", et par les mots qu’elle rejette. Dans le premier cas, le bien et le mal se compensent; dans le second, il n’y a que du mal ; dans le troisième , il n’y a que du bien. C’est cette troisième direction qu’il faut donner aux changemens d’une Langue , pour que tous ses changemens soient ou des progrès , ou des perfectionnemens ; et cette direction constante , elle ne peut la recevoir que d’un Dictionnaire , fait suivant les vues et dans le plan dont nous avons parlé.