Page:Leblond - Leconte de Lisle, 1906, éd2.djvu/227

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doute, la plupart des propriétaires furent ruinés, mais déjà une excessive prodigalité avait dilapidé leur fortune ; dans l’hahitude du commandement, les énergies s’étaient amollies et la concurrence avec les anciens sujets, transformables en petits planteurs, allait exiger des forces nouvelles ; l’entêtement dicta les mesures de la plus folle imprévoyance ; ceux qui avaient été les maîtres ne voulaient pas reprendre comme ouvriers libres leurs anciens esclaves ; la plupart préférèrent encore la main-d’œuvre indienne, infiniment plus coûteuse, mais dont se chargeait l’agent de change. Des spéculateurs abusèrent de l’inquiétude et de la surexcitatation des esprits ; les nouvelles les plus diverses ébranlèrent la confiance ; beaucoup de propriétaires, habilement persuadés qu’aucune promesse d’indemnité ne serait effective, vendirent pour des sommes dérisoires leurs droits sur leurs esclaves, et la colère des dupés se reporta sur les signataires de l’adresse au Gouvernement, « assassins de leur patrie ». M. Leconte de Lisle supprima à son fils la pension qu’il lui faisait et rompit toute relation avec lui[1].

Sans place, sevré de pension, c’est à la misère que le voici jeté. Les premiers rayons de la liberté éclairent sa détresse. Ce devait être longtemps les jours d’infortune amère, non pour le corps de si peu content, mais pour le cœur impuissant à réconforter

  1. « Leconte de Lisle, écrit Mme  Dornis, dont le témoignage a de l’importance, rédigea la requête des créoles. Entraînés par son exemple, beaucoup signèrent avec lui qui désavouèrent plus tard leur adhésion… Ses parents conçurent contre lui une profonde rancune… Du jour au lendemain on lui retire tout subside ; il se fit répétiteur de latin et de grec et traducteur. »