Page:Leibniz - La Monadologie, éd. Bertrand, 1886.djvu/89

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82[1]. Quant aux Esprits ou Âmes raisonnables, quoique je trouve qu’il y a dans le fond la même chose dans tous les vivants et animaux, comme nous venons de dire (savoir que l’Animal et l’Âme ne commencent qu’avec le monde, et ne finissent pas non plus que le monde), il y a pourtant cela de particulier dans les Animaux raisonnables, que leurs petits Animaux spermatiques, tant qu’ils ne sont que cela, ont seulement des Âmes ordinaires ou sensitives, mais dès que ceux qui sont élus, pour ainsi, dire, parviennent par une actuelle conception à la nature humaine, leurs âmes sensitives sont élevées au degré de la raison et à la prérogative des Esprits (§§ 91, 397).

    que la comparaison des deux horloges était familière à Leibniz : « Figurez-vous deux horloges ou montres qui s’accordent parfaitement. Or cela se peut faire de trois manières : la 1re consiste dans une influence mutuelle ; la 2e est d’y attacher un ouvrier habile qui les redresse et les mette d’accord à tous moments ; la 3e est de fabriquer ces deux pendules avec tant d’art et de justesse, qu’on se puisse assurer de leur accord dans la suite. Mettez maintenant l’âme et le corps à la place de ces deux pendules; leur accord peut arriver par l’une de ces trois manières. La voie d’influence est celle de la philosophie vulgaire… La voie de l’assistance continuelle du Créateur est celle du système des causes occasionnelles. Il ne reste que mon hypothèse, c’est-à-dire la voie de l’harmonie. » (Second éclairc., du syst. de la comm. des substances, Erdm., 133, b.)

  1. La prérogative des esprits. — Il n’y a pas d’origine des entéléchies, mais il y a une origine des âmes : la génération est l’acte par lequel les entéléchies sont élevées à la dignité d’esprit. « Je croirais que les âmes qui seront un jour âmes humaines comme celle des autres espèces, ont été dans les semences, et dans les ancêtres jusqu’à Adam, et ont existé par conséquent depuis le commencement des choses, toujours dans une manière de corps organique… Mais il me paraît encore plus convenable pour plusieurs raisons, qu’elles n’existaient alors qu’en âmes sensitives ou animales, douées de perception et de sentiment et destituées de raison ; et qu’elles sont demeurées dans cet état jusqu’au temps de la génération de l’homme à qui elles devaient appartenir, mais qu’alors elles ont reçu la raison ; soit qu’il y ait un moyen naturel d’élever une âme sensitive au degré d’âme raisonnable (ce que j’ai de la peine à concevoir), soit que Dieu ait donné la raison à cette âme par une opération particulière, ou (si vous voulez) par une espèce de transcréation. » (Théod., § 527.) Ce texte important nous montre que les théories transformiste et évolutionniste auraient paru à Leibniz difficiles à concevoir, mais que pourtant sa métaphysique aurait pu s’en accommoder et les absorber. L’évolution est l’âme même de la philosophie de Leibniz : seulement, on conçoit que la lutte pour la vie et la sélection naturelle, procédés extérieurs, pour ainsi dire, de transformation et d’évolution ne lui auraient point paru des explications suffisantes. C’est dans l’acte lui-même et dans la loi interne de ses opérations qu’il veut qu’on cherche le principe de son développement. Quant à cette transcréation dont Leibniz parle dans le texte cité précédemment, il la donne plus loin comme un essai de conciliation entre la théologie et la philosophie : il serait plus vrai de dire que c’est une abdication pure et simple de la philosophie au profit de la théologie. Plus loin, il en convient et semble se repentir de ce coup de désespoir d’une métaphysique aux abois : « J’ai jugé qu’on pouvait attribuer cette élévation de l’âme sensitive (qui la fait parvenir à un degré essentiellement plus sublime, c’est-à-dire à la raison) à l’opération extraordinaire de Dieu. Cependant il sera bon d’ajouter que j’aimerais mieux me passer du miracle dans la génération