Page:Lemerre - Anthologie des poètes français du XIXème siècle, t1, 1887.djvu/106

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
88
ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.


« Aimons donc, aimons donc ! de l’heure fugitive,
                     Hâtons-nous, jouissons !
L’homme n’a point de port, le temps n’a point de rive,
                     Il coule, et nous passons ! »

Temps jaloux, se peut-il que ces moments d’ivresse,
Où l’amour à longs flots nous verse le bonheur,
S’envolent loin de nous de la même vitesse
                     Que les jours de malheur ?

Eh quoi ! n’en pourrons-nous fixer au moins la trace ?
Quoi ! passés pour jamais ? Quoi ! tout entiers perdus ?
Ce temps qui les donna, ce temps qui les efface,
                     Ne nous les rendra plus ?

Éternité, néant, passé, sombres abîmes,
Que faites-vous des jours que vous engloutissez ?
Parlez : nous rendrez-vous ces extases sublimes
                     Que vous nous ravissez ?

Ô lac ! rochers muets ! grottes ! forêt obscure !
Vous que le temps épargne ou qu’il peut rajeunir,
Gardez de cette nuit, gardez, belle nature,
                     Au moins le souvenir !

Qu’il soit dans ton repos, qu’il soit dans tes orages,
Beau lac, et dans l’aspect de tes riants coteaux,
Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages
                     Qui pendent sur tes eaux !

Qu’il soit dans le zéphyr qui frémit et qui passe,
Dans les bruits de tes bords par tes bords répétés,
Dans l’astre au front d’argent qui blanchit ta surface
                     De ses molles clartés !