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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.

Revenez, revenez, ô mes tristes pensées !
             Je veux rêver, et non pleurer.

Mon image en son cœur se grava la première,
Comme dans l’œil qui s’ouvre, au matin, la lumière ;
Elle ne regarda plus rien après ce jour :
De l’heure qu’elle aima, l’univers fut amour !
Elle me confondait avec sa propre vie,
Voyait tout dans mon âme ; et je faisais partie
De ce monde enchanté qui flottait sous ses yeux,
Du bonheur de la terre et de l’espoir des cieux.
Elle ne pensait plus au temps, à la distance,
L’heure seule absorbait toute son existence :
Avant moi, cette vie était sans souvenir,
Un soir de ces beaux jours était tout l’avenir !
Elle se confiait à la douce nature
Qui souriait sur nous, à la prière pure
Qu’elle allait, le cœur plein de joie et non de pleurs,
À l’autel qu’elle aimait répandre avec ses fleurs ;
Et sa main m’entraînait aux marches de son temple,
Et, comme un humble enfant, je suivais son exemple,
Et sa voix me disait tout bas : « Prie avec moi ;
Car je ne comprends pas le ciel même sans toi ! »

Mais pourquoi m’entraîner vers ces scènes passées ?
Laissons le vent gémir et le flot murmurer.
Revenez, revenez, ô mes tristes pensées !
             Je veux rêver, et non pleurer.

Voyez, dans son bassin, l’eau d’une source vive
S’arrondir comme un lac sous son étroite rive.
Bleue et claire, à l’abri du vent qui va courir
Et du rayon brûlant qui pourrait la tarir.