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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.

Nul ne visite plus cette pierre effacée.
Nul n’y songe et n’y prie… excepté ma pensée,
Quand, remontant le flot de mes jours révolus,
Je demande à mon cœur tous ceux qui n’y sont plus,
Et que, les yeux flottants sur de chères empreintes,
Je pleure dans mon ciel tant d’étoiles éteintes !
Elle fut la première, et sa douce lueur
D’un jour pieux et tendre éclaire encor mon cœur.

Mais pourquoi m’entraîner vers ces scènes passées ?
Laissons le vent gémir et le flot murmurer.
Revenez, revenez, ô mes tristes pensées !
             Je veux rêver, et non pleurer.

Un arbuste épineux, à la pâle verdure,
Est le seul monument que lui fit la nature :
Battu des vents de mer, du soleil calciné,
Comme un regret funèbre au cœur enraciné,
Il vit dans le rocher sans lui donner d’ombrage ;
La poudre du chemin y blanchit son feuillage ;
Il rampe près de terre, où ses rameaux penchés
Par la dent des chevreaux sont toujours retranchés ;
Une fleur, au printemps, comme un flocon de neige,
Y flotte un jour ou deux ; mais le vent qui l’assiège
L’effeuille avant qu’elle ait répandu son odeur,
Comme la vie, avant qu’elle ait charmé le cœur !
Un oiseau de tendresse et de mélancolie
S’y pose pour chanter sur le rameau qui plie.
Oh, dis ! fleur que la vie a fait si tôt flétrir !
N’est-il pas une terre où tout doit refleurir ?

Remontez, remontez à ces heures passées !
Vos tristes souvenirs m’aident à soupirer.