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LAMARTINE.

            Passez, repassez mille fois !
            Si vous cherchez qui le proclame,
            Laissez là l’éclair et la flamme !
            Laissez là la mer et la lame !
            Et nous, n’avons-nous pas une âme,
            Dont chaque feuille est une voix ?

Tu le sais, ciel des nuits, à qui parlent nos cimes !
Vous, rochers que nos pieds sondent jusqu’aux abîmes
Pour y chercher la sève et les sucs nourrissants,
Soleils, dont nous buvons les dards éblouissants,
Vous le savez ! ô nuits dont nos feuilles avides
Pompent les frais baisers et les perles humides :
            Dites si nous avons des sens !
Des sens dont n’est douée aucune créature,
Qui s’emparent d’ici de toute la nature,
Qui respirent sans lèvre et contemplent sans yeux,
Qui sentent les saisons avant qu’elles éclosent ;
Des sens qui palpent l’air et qui le décomposent,
D’une immortelle vie agents mystérieux !
Et pour qui donc seraient ces siècles d’existence ?
Et pour qui donc seraient l’âme et l’intelligence ?
              Est-ce donc pour l’arbuste nain ?
              Est-ce pour l’insecte et l’atome,
              Ou pour l’homme, léger fantôme,
              Qui sèche à mes pieds comme un chaume,
              Qui dit la terre son royaume,
Et disparaît du jour avant que de mon dôme
Ma feuille de ses pas ait jonché le chemin ?
Car les siècles, pour nous, c’est hier et demain !

             Oh ! gloire à toi, Père des choses !
             Dis quel doigt terrible tu poses
             Sur le plus faible des ressorts,