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BARTHÉLEMY ET MÉRY.


Honte à qui peut chanter pendant que les sicaires,
En secouant leur torche, aiguisent leurs poignards,
Jettent les dieux proscrits aux rires populaires,
Ou traînent aux égouts les bustes des Césars.
C’est l’heure de combattre avec l’arme qui reste,
C’est l’heure de monter au rostre ensanglanté,
Et de défendre au moins de la voix et du geste
             Rome, les Dieux, la Liberté.

La Liberté !… Ce mot dans ma bouche t’outrage…
Tu crois qu’un sang d’Ilote est assez pur pour moi,
Et que Dieu de ses dons fit un digne partage,
L’esclavage pour nous, la liberté pour toi !
Tu crois que des Séjans le dédaigneux sourire
Est un prix assez noble aux cœurs tels que le mien,
Que le ciel m’a jeté la bassesse et la lyre,
            À toi l’âme du citoyen !

Tu crois que ce saint nom qui fait vibrer la terre,
Ce nom que l’ange envie aux généreux mortels,
Entre Caton et toi doit rester un mystère,
Que les pavés vainqueurs sont les premiers autels ?
Tu crois que d’un chrétien ce mot brise la bouche,
Et que nous adorons notre honte et nos fers.
Si nous n’adoptons pas ta liberté farouche
            Sur l’autel d’airain que tu sers ?

Détrompe-toi, poète, et permets-nous d’être hommes !
Nos mères nous ont faits tous du même limon,
La terre qui vous porte est la terre où nous sommes,
Les fibres de nos cœurs vibrent au même son.
Patrie et liberté, gloire, vertu, courage,
Quel pacte de ces biens m’a donc déshérité ?