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VICTOR HUGO.


Je sais que le fruit tombe au vent qui le secoue ;
Que l’oiseau perd sa plume, et la fleur son parfum ;
Que la création est une grande roue
Qui ne peut se mouvoir sans écraser quelqu’un !

Les mois, les jours, les flots des mers, les yeux qui pleurent,
                     Passent sous le ciel bleu ;
Il faut que l’herbe pousse et que les enfants meurent ;
                     Je le sais, ô mon Dieu !

Dans vos cieux, au-delà de la sphère des nues,
Au fond de cet azur immobile et dormant,
Peut-être faites-vous des choses inconnues
Où la douleur de l’homme entre comme élément.

Peut-être est-il utile à vos desseins sans nombre
                     Que des êtres charmants
S’en aillent, emportés par le tourbillon sombre
                     Des noirs événements.

Nos destins ténébreux vont sous des lois immenses
Que rien ne déconcerte et que rien n’attendrit.
Vous ne pouvez avoir de subites clémences
Qui dérangent le monde, ô Dieu, tranquille esprit !

Je vous supplie, ô Dieu ! de regarder mon âme,
                     Et de considérer
Qu’humble comme un enfant et doux comme une femme
                     Je viens vous adorer !

Considérez encor que j’avais, dès l’aurore,
Travaillé, combattu, pensé, marché, lutté,
Expliquant la nature à l’homme qui l’ignore,
Éclairant toute chose avec votre clarté ;