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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.

Te feront de tes maux oublier la mémoire.
Et si dans le chemin, rhapsode ingénieux,
Tu veux nous accorder tes chants dignes des cieux,
Nous dirons qu’Apollon, pour charmer les oreilles,
T’a lui-même dicté de si douces merveilles.

— Oui, je le veux ; marchons. Mais où m’entraînez-vous ?
Enfants du vieil aveugle, en quel lieu sommes-nous ?

— Syros est l’île heureuse où nous vivons, mon père.

— Salut, belle Syros, deux fois hospitalière !
Car sur ses bords heureux je suis déjà venu ;
Amis, je la connais. Vos pères m’ont connu :
Ils croissaient comme vous ; mes yeux s’ouvraient encore
Au soleil, au printemps, aux roses de l’aurore ;
J’étais jeune et vaillant. Aux danses des guerriers,
À la course, aux combats, j’ai paru des premiers.
J’ai vu Corinthe, Argos, et Crète, et les cent villes,
Et du fleuve Egyptus les rivages fertiles ;
Mais la terre et la mer, et l’âge et les malheurs,
Ont épuisé ce corps fatigué de douleurs.
La voix me reste. Ainsi la cigale innocente,
Sur un arbuste assise, et se console et chante.
Commençons par les dieux : « Souverain Jupiter,
Soleil qui vois, entends, connais tout, et toi, mer,
Fleuve, terre, et noirs dieux des vengeances trop lentes,
Salut ! Venez à moi, de l’Olympe habitantes,
Muses ! Vous savez tout, vous, déesses ; et nous,
Mortels, ne savons rien qui ne vienne de vous. »

Il poursuit ; et déjà les antiques ombrages
Mollement en cadence inclinaient leurs feuillages ;
Et pâtres oubliant leur troupeau délaissé,
Et voyageurs quittant leur chemin commencé,