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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.

Au banquet de la vie à peine commencé,
Un instant seulement mes lèvres ont pressé
            La coupe en mes mains encor pleine.

« Je ne suis qu’au printemps, je veux voir la moisson ;
Et, comme le soleil, de saison en saison
            Je veux achever mon année.
Brillante sur ma tige et l’honneur du jardin,
Je n’ai vu luire encor que les feux du matin,
            Je veux achever ma journée.

« Ô mort ! tu peux attendre ; éloigne, éloigne-toi ;
Va consoler les cœurs que la honte, l’effroi,
            Le pâle désespoir dévore.
Pour moi Palès encore a des asiles verts,
Les amours des baisers, les Muses des concerts ;
            Je ne veux point mourir encore. »

Ainsi, triste et captif, ma lyre toutefois
S’éveillait, écoutant ces plaintes, cette voix,
            Ces vœux d’une jeune captive ;
Et secouant le faix de mes jours languissants,
Aux douces lois des vers je pliais les accents
            De sa bouche aimable et naïve.

Ces chants, de ma prison témoins harmonieux,
Feront à quelque amant des loisirs studieux
            Chercher quelle fut cette belle :
La grâce décorait son front et ses discours ;
Et, comme elle, craindront de voir finir leurs jours
            Ceux qui les passeront près d’elle.


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