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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.

Seul, attendant la mort quand leur coupable voix
Demandait à grands cris du sang et non des lois !
Ceux que la France a vus ivres de tyrannie,
Ceux-là même, dans l’ombre armant la calomnie,
Me reprochent le sort d’un frère infortuné
Qu’avec la calomnie ils ont assassiné !
L’injustice agrandit une âme libre et fière.
Ces reptiles hideux, sifflant dans la poussière,
En vain sèment le trouble entre son ombre et moi :
Scélérats, contre vous elle invoque la loi.
Hélas ! pour arracher la victime aux supplices,
De mes pleurs chaque jour fatiguant vos complices,
J’ai courbé devant eux mon front humilié ;
Mais ils vous ressemblaient : ils étaient sans pitié.
Si, le jour où tomba leur puissance arbitraire,
Des fers et de la mort je n’ai sauvé qu’un frère
Qu’au fond des noirs cachots Dumont avait plongé
Et qui deux jours plus tard périssait égorgé,
Auprès d’André Chénier avant que de descendre,
J’élèverai la tombe où manquera sa cendre,
Mais où vivront du moins et son doux souvenir,
Et sa gloire, et ses vers dictés pour l’avenir.
Là, quand de thermidor la septième journée
Sous les feux du Lion ramènera l’année,
Ô mon frère ! je veux, relisant tes écrits,
Chanter l’hymne funèbre à tes mânes proscrits
Là, souvent tu verras, près de ton mausolée,
Tes frères gémissants, ta mère désolée,
Quelques amis des arts, un peu d’ombre et des fleurs ;
Et ton jeune laurier grandira sous mes pleurs.


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