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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.


Toi-même, quand ces bois abritent leur délire,
Quand tu couvres de fleurs et d’ombre leurs sentiers,
Nature, toi leur mère, aurais-tu ce sourire
                      S’ils mouraient tout entiers ?

Sous le voile léger de la beauté mortelle
Trouver l’âme qu’on cherche et qui pour nous éclôt,
Le temps de l’entrevoir, de s’écrier : « C’est Elle ! »
                    Et la perdre aussitôt,

Et la perdre à jamais ! Cette seule pensée
Change en spectre à nos yeux l’image de l’Amour.
Quoi ! ces vœux infinis, cette ardeur insensée
                    Pour un être d’un jour !

Et toi, serais-tu donc à ce point sans entrailles,
Grand Dieu qui dois d’en haut tout entendre et tout voir,
Que tant d’adieux navrants et tant de funérailles
                    Ne puissent t’émouvoir,

Qu’à cette tombe obscure où tu nous fais descendre
Tu dises : « Garde-les, leurs cris sont superflus.
Amèrement en vain l’on pleure sur leur cendre ;
                     Tu ne les rendras plus ! »

Mais non ! Dieu, qu’on dit bon, tu permets qu’on espère ;
Unir pour séparer, ce n’est point ton dessein.
Tout ce qui s’est aimé, fût-ce un jour, sur la terre,
                   Va s’aimer dans ton sein.