Page:Leopardi - Poésies et Œuvres morales, t1, 1880, trad. Aulard.djvu/265

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monde ; et comme auparavant, quand le toit du villageois industrieux sera rougi par l’aurore, l’oiseau éveillera les vallées de son chant matinal, et à travers les rochers la bête fauve poursuivra le faible peuple des animaux plus petits. Ô destin ! ô race vaine ! nous sommes la partie abjecte des choses : les mottes de terre teintes de notre sang, les grottes pleines de nos cris n’ont point été troublées par notre douleur, et le souci humain n’a pas fait pâlir les étoiles.

Non, je n’invoque au moment de mourir ni les rois sourds de l’Olympe et du Cocyte, ni la terre indigne, ni la nuit, ni toi, dernier rayon de la mort noire, ô mémoire de la postérité. Quand est-ce qu’une tombe dédaigneuse fut apaisée par des sanglots et ornée par les paroles ou les dons d’une vile multitude ? Les temps se précipitent vers le pire ; et l’on aurait tort de confier à nos neveux pourris l’honneur des âmes distinguées et la suprême vengeance des malheureux. Qu’autour de moi l’avide oiseau noir agite ses ailes. Que cette bête m’étouffe, que l’orage entraîne ma dépouille ignorée, et que l’air emporte mon nom et ma mémoire.