Page:Leopardi - Poésies et Œuvres morales, t2, 1880, trad. Aulard.djvu/18

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présente à l’âme, Elvire, fameuse par sa beauté divine. Elle sait son pouvoir, elle sait qu’un regard joyeux, qu’une parole d’elle, teinte de quelque douceur, repassée mille et mille fois dans l’âme constante de Gonzalve, était le soutien et l’aliment de son amant infortuné. Pourtant elle n’avait jamais entendu de lui aucune parole d’amour. Dans cette âme, une crainte souveraine avait toujours été plus forte que le désir. Ainsi trop d’amour l’avait rendu esclave et enfant.

Mais la mort rompit enfin le nœud antique de sa langue. Sentant, à des signes certains, l’arrivée du jour suprême, il la prit par la main, comme elle allait partir, et, serrant cette blanche main, il dit : « Tu pars, l’heure te presse, Elvire, adieu. Je ne te verrai pas, que je croie, une seconde fois. Adieu donc. Je te donne pour tes soins le plus grand remerciement que mes lèvres puissent proférer. Celui qui le peut te récompensera, si le ciel donne une récompense à la piété. » La belle pâlissait à ces paroles et son sein devenait haletant, car toujours le cœur de l’homme se serre douloureusement, même quand c’est un étranger qui part et qui dit adieu pour toujours. Et elle voulait contredire le moribond en lui dissimulant le voisinage du trépas. Mais il prévint son dire et reprit : « Désirée et bien implorée, comme tu le sais, la mort descend vers moi et ne m’effraie pas : ce jour funèbre m’apparait joyeux. Il me pèse, à la vérité,