Page:Leopardi - Poésies et Œuvres morales, t2, 1880, trad. Aulard.djvu/20

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sa chère Elvire et la plaçait sur son cœur, qui palpitait des derniers battements de la mort et de l’amour. « Oh ! dit-il, Elvire, mon Elvire, suis-je bien encore sur terre ? ces lèvres furent-elles bien tes lèvres et est-ce ta main que je serre ? Ah ! il me semble que c’est une vision d’homme inanimé, ou un songe, ou une chose incroyable. Hélas ! combien, Elvire, combien je dois à la mort ! Auparavant jamais mon amour ne te fut caché en aucun temps, ni à toi, ni à autrui ; car on ne cache point au monde le véritable amour. Mes actes, mon visage défait, mes yeux te l’indiquèrent assez, mais non mes paroles. La passion infinie qui gouverne mon cœur serait encore muette à jamais, si la mort ne l’avait rendue audacieuse. Maintenant je mourrai content de mon destin et je ne me plains plus d’être né. Je n’ai pas vécu en vain, puisqu’il fut donné à ma bouche de presser cette bouche. Que dis-je ? mon sort me semble heureux. Le monde a deux choses belles : l’amour et la mort. À l’une, le ciel me guide dans la fleur de mon âge, et, quant à l’autre, je l’ai assez goûtée pour être heureux. Ah ! si une fois, si une seule fois tu avais rendu mon long amour tranquille et satisfait, la terre serait devenue désormais un éternel paradis pour mes yeux transformés. Même la vieillesse, la vieillesse abhorrée, je l’aurais supportée d’un cœur tranquille ; pour la souffrir, il m’aurait toujours suffi de me souvenir d’un unique