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XVIII

À SA DAME.

(1824.)


Chère beauté qui m’inspires l’amour, soit en cachant ton visage, sauf dans mes songes où ton ombre divine fait tressaillir mon cœur, soit de loin dans les campagnes où le jour et le rire de la nature resplendissent plus beaux, peut-être as-tu rendu heureux le siècle innocent qu’on appelle le siècle d’or, ou voltiges-tu maintenant, âme légère, parmi les hommes ? ou la fortune avare, qui te cache à nous, te réserve-t-elle à l’avenir ?

De te voir vivante il ne me reste désormais aucun espoir, si ce n’est quand, nue et seule, mon âme s’en ira par un sentier nouveau vers les demeures étrangères. Déjà, au seuil de ma journée incertaine et sombre, je crus que tu serais ma compagne de voyage sur ce sol aride. Mais il n’y a point de chose sur terre qui te ressemble, et si quelque femme était ta pareille par le visage, le geste et la voix, elle serait, malgré cette conformité, bien moins belle que toi.