Page:Leroux - L'Epouse du Soleil.djvu/105

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et là par des rayons carrés ou ronds ou aigus qui descendaient de la terre supérieure, entre les pierres millénaires. De temps à autre, il lui disait : « Ici, au-dessus de nos têtes, il y a tel temple, tel palais ! Tiens ! en ce moment nous sommes sous le Yaca-Huasi que l’on appelle aussi la Maison du Serpent ».

Raymond l’arrêta : « Ils y ont peut-être conduit l’Épouse du Soleil ? ».

— Non ! Non ! Maintenant les étapes sont finies, crois-moi. L’Épouse du Soleil est partie pour le Temple de la Mort.

— Et nous ? Où allons-nous ? Où nous conduis-tu ?

— Au Temple de la Mort !

Alors Raymond le suivit sans plus rien demander. Cependant, il s’étonna quand il sortit du souterrain de se retrouver en pleine campagne.

— Où donc est le Temple de la Mort ? dit-il.

— Le Temple de la Mort, répondit l’autre, est dans l’île Titicaca ! Ne crains rien ! Nous arriverons avant eux. Ten paciencia ! (aie patience !)

Dans un des tambos du bord de la route, ils louèrent des chevaux qui les conduisirent à Sicuani où ils prirent le train et, par l’embranchement de Juliaca, se dirigèrent vers Puno, sur les bords du lac. Tout le long du chemin, Orellana ne cessait de parler à Raymond, lui donnait des détails sur la contrée qu’ils traversaient et sur la cérémonie qu’ils allaient voir, « une cérémonie à laquelle n’a jamais assisté aucun étranger », mais lui, Orellana, ne demandait la permission de personne et puisqu’on allait marier sa fille au Soleil, c’était bien le moins qu’il assistât aux noces. D’autant plus qu’il avait tout préparé pour cela ! Ah ! il avait mis du temps à trouver le Temple de la Mort, car ce temple était bien caché, mais avec de la patience de plusieurs années, on arrive à tout, quand on le veut bien ! Il n’y avait pas une conduite désertée par les eaux, sous la terre, pas une mine d’or abandonnée qu’il ne connût et dans lesquelles il n’eût pu se promener les yeux fermés. Ah ! que de fortunes, que de fortunes sous la terre, une fortune égale à toutes les fortunes du monde ! Évidemment, les Incas avaient dû prendre tout leur or quelque part !… Et il en restait ! Et il en restait à prendre !… Le jour où un ingénieur intelligent s’en mêlerait (sourire amer du jeune ingénieur qui ne pense plus du tout à son fameux siphon)… il n’y aurait qu’à se baisser simplement… mais lui, Orellana, s’était toujours moqué de toute la fortune du monde, et il n’aimait au monde que sa fille, sa Maria-Christina que les Indiens avaient conduite dans le Temple de la Mort et c’est le Temple de la Mort seul qui l’avait occupé pour y reprendre sa fille, la prochaine fois qu’une pareille cérémonie recommencerait. Il avait attendu des années. Maintenant tout était prêt. Entre nous, il serait bien heureux d’embrasser Maria-Christina, pour la première fois, depuis dix ans !… Ainsi divaguait-il et ces divagations, Raymond les trouvait précieuses. Le jeune homme lui demanda :

— Eux, comment vont-ils du Cuzco au Temple de la Mort ?

— Ne t’occupe pas de cela. Par les couloirs de la nuit ! par les couloirs des montagnes de la nuit ! et par les couloirs du lac de la nuit ! À propos, sais-tu pêcher à la ligne ?

Raymond n’eut pas le temps de répondre à cette extraordinaire question, car le chef de train venait les chercher pour les inviter à voir danser la samacuena, dans le fourgon aux bagages. Il fallut bien accepter l’invitation pour ne point se singulariser. Tous les voyageurs s’y rendaient. Ils trouvèrent là, réunis, une société indigène, dansant, chantant et jouant de la guitare, et buvant sec. À chaque arrêt du train, le chef de train en signe de réjouissance pour les victoires de Garcia faisait partir des cohetes dont les échos de la montagne répétaient joyeusement les détonations. Puis les quelques soldats quichuas qui se trouvaient dans le train se donnèrent le plaisir de la chasse. En traversant les hauteurs, ils aperçurent de nombreux troupeaux de vigognes qui paissaient tranquillement. De la plate-forme de leur wagon, les soldats examinaient tous les mouvements des troupeaux errants et de temps en temps, épaulaient, envoyaient une balle à l’animal le plus rapproché. Une vigogne tomba. Aussitôt le mécanicien serra les freins, donna le signal de l’arrêt, et le chef de train courut ramasser lui-même la victime. Raymond, impatient, eût voulu monter sur la locomotive, conduire lui-même le convoi à toute vapeur. Mais Orellana le calma : « Nous arriverons avant eux, tu verras ! On aura encore le temps de pêcher à la ligne. C’est sûr ; toute la nuit et tout un jour, je le crois ! »

Et il l’entraîna, pendant que danseurs et danseuses dépeçaient la vigogne, auprès du poêle qui était installé dans leur wagon.