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cienne Caxamarxa des Incas, la seconde capitale de leur empire au temps de Pizarre…

— Et la ville où leur dernier roi fut brûlé vif ! fit entendre la voix expirante de la tante Agnès.

On se précipita vers elle, car elle se trouvait mal. Il fallut la porter dans son appartement. La vieille Irène suivait, plus pâle que sa guimpe, et faisant avec son pouce, sur son front, le signe de la croix.



QUI A OFFERT LE
BRACELET ?


Le lendemain de son arrivée à Lima, l’oncle François-Gaspard fut reçu solennellement par la Société de Géographie, dont il sut célébrer l’œuvre magnifique, les travaux archéologiques, statistiques, hydrographiques[1] avec une émotion scientifique qui fut bientôt partagée par tous ceux qui étaient là. Son succès fut grand et le génie français, à son tour, fut loué dans sa personne. Toutefois, le plus heureux, le plus fier, était encore Christobal, qui prenait sa part de la gloire de l’académicien Ozoux. À la sortie de cette séance mémorable, à laquelle assistèrent naturellement Raymond et Marie-Thérèse, laquelle avait mis son bracelet en dépit des pleurnicheries des deux vieilles, le marquis rencontra don Alonso de Cuelar, un charmant jeune homme.

— Mon cher ami, lui dit-il, je vous croyais à Cajamarca.

Don Alonso ouvrit des yeux énormes. Il ne comprenait pas.

— Écoutez, Cuelar !… ne faites pas l’étonné. Je ne me fâcherai pas. Vous vous êtes gracieusement vengé du refus de Marie-Thérèse.

— Moi ?…

— Allons donc ! le bracelet !

— Quel bracelet ?

À ce moment, Marie-Thérèse et Raymond rejoignirent le marquis. Marie-Thérèse avait vu que son père s’entretenait en riant avec don Alonso et elle ne doutait point que le mystère du bracelet fût déjà éclairci.

— Merci, ami !… fit-elle en tendant la main à don Alonso, la main où glissait le lourd bijou… vous voyez ! je le porte en gage de notre bonne amitié.

— Mais je ne me serais pas permis !… protesta le jeune homme en regardant tour à tour le marquis, Marie-Thérèse et Raymond…

— Vous parlez sérieusement ?… Ce n’est pas vous ?…

— Je vous jure !… mais quelle est cette histoire !… et quel singulier bijou est-ce là ?…

— Vous ne le reconnaissez pas ?… C’est, paraît-il, le bracelet Soleil d’or que les prêtres indiens envoient toujours à l’épouse du Soleil, à la fête décennale de l’Interaymi ! reprit, en lui souriant comme une enfant espiègle, Marie-Thérèse, car elle n’était point encore bien convaincue par les protestations de celui qui avait vainement demandé sa main… Et comme c’est vous qui avez lancé le surnom dont on me salue partout maintenant à Lima, nous avions pensé que vous aviez voulu, malgré tout, être gracieux avec la Vierge du Soleil !…

— Ma foi, c’est moi qui ai tort de n’avoir pas pensé à cela ! soupira don Alonso. C’était, en effet, très gentil, historique et ingénieux ! et, puisque vous deviez le porter, je ne me pardonnerai jamais de n’avoir pas eu l’admirable imagination de vous envoyer ce bracelet-là ! Le mérite en revient certainement à l’un de ces malheureux amis qui ont brigué le même honneur que moi, señorita, et qui n’ont pas été plus heureux !… Tenez, voilà justement Pedro Ribera qui passe, sombre et sournois. Ma parole ! Il a bien l’air d’avoir fait le coup !…

Et il l’appela. Mais pas plus que Cuelar, Ribera ne savait ce dont on lui parlait. Comme lui il s’extasia sur l’étrangeté du bijou et comme lui il regretta de ne pas l’avoir envoyé.

Le marquis commençait à être agacé et il regrettait maintenant d’avoir parlé du bijou à ces messieurs. Il ne pouvait sans être ridicule leur demander de taire une aventure qui, après tout, n’était point bien méchante, et il savait que, dans deux heures, sur la promenade, au glacier, aux thés, à la plaza Mayor, on ne parlerait que du mystérieux bracelet de la Vierge du Soleil. Marie-Thérèse comprit très bien ce qui se passait dans l’esprit de son père.

— Écoute, papa, ce bracelet maintenant est ridicule ! En attendant que celui qui nous a fait cette petite surprise veuille prendre la peine de se dévoiler… qu’il disparaisse !… et n’en parlons plus !…

  1. Cette Société a été chargée également de continuer l’œuvre de Raimondi : El Perus. Travail immense, dont tous ceux qui parlent du Pérou sont tributaires.