Page:Leroux - Le Fauteuil hanté.djvu/23

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

« Monsieur le secrétaire perpétuel, calmez-vous ! » et des : « Monsieur de la Beyssière, cette querelle est indigne et de vous et de cette enceinte ! »

Et toute l’illustre assemblée était dans un état de fièvre incroyable pour des Immortels ; seul le grand Loustalot paraissait ne rien voir ne rien entendre et plongeait maintenant avec conviction sa plume dans sa tabatière.

M. Hippolyte Patard s’était dressé sur la pointe des pieds et criait du haut de la tête, ses petits yeux foudroyant le vieux Raymond :

— Il nous ennuie à la fin celui-là, avec son Eliphas de Feu Saint-Elme de Taille-à-rebours de la Boxe du Bourricot du Careï !…

M. Raymond de La Beyssière, devant une plaisanterie aussi furieuse et aussi déplacée dans la bouche d’un secrétaire perpétuel, garda tout son sang-froid.

— Monsieur le secrétaire perpétuel, dit-il, je n’ai jamais menti de ma vie et ce n’est pas à mon âge que je commencerai. Pas plus tard qu’hier avant la séance solennelle, je vous ai vu embrasser le manche de votre parapluie !…

M. Hippolyte Patard bondit et l’on eut toutes les peines du monde à l’empêcher de se livrer à des voies de fait sur la personne du vieil égyptologue. Il criait :

— Mon parapluie… Mon parapluie !… D’abord, je vous défends de parler de mon parapluie !…

Mais M. de la Beyssière le fit taire en lui montrant, d’un geste tragique, le «  Fauteuil hanté » :

— Puisque vous n’êtes pas fétichiste, asseyez-vous donc dessus, si vous l’osez !…

L’assemblée, qui était en rumeur, fut du coup immobilisée. Tous les yeux allaient maintenant du fauteuil à M. Hippolyte Patard, et de M. Hippolyte Patard au fauteuil.

M. Hippolyte Patard déclara :

— Je m’assiérai si je veux ! Je n’ai d’ordres à recevoir de personne !… D’abord, messieurs, permettez-moi de vous faire remarquer que l’heure d’ouvrir le scrutin est sonnée depuis cinq minutes…

Et il regagna sa place, ayant recouvré soudain une grande dignité.

Il n’arriva point cependant à son pupitre sans que quelques sourires l’accompagnassent.

Il les vit, et comme chacun prenait un siège pour la séance qui allait commencer… et que le Fauteuil hanté restait vide, il dit, de son petit air pincé, l’air du Patard citron :

— Les règlements ne s’opposent pas à ce que celui de mes collègues qui désire s’asseoir dans le fauteuil de Mgr d’Abbeville y prenne place.

Nul ne bougea. L’un de ces messieurs, qui avait de l’esprit, soulagea la conscience de tout le monde par cette explication :

— Il vaut mieux ne pas s’y asseoir par respect pour la mémoire de Mgr d’Abbeville.

Au premier tour, l’unique candidat, Martin Latouche, fut élu à l’unanimité.

Alors, M. Hippolyte Patard ouvrit son courrier.

Et il eut la joie, qui le consola de bien des choses, de ne pas y trouver des nouvelles de M. Martin Latouche.

Servilement, il reçut de l’Académie la mission exceptionnelle d’aller annoncer lui-même à M. Martin Latouche l’heureux événement.

Ça ne s’était jamais vu.

— Qu’est-ce que vous allez lui dire ? demanda le chancelier à M. Hippolyte Patard.

M. le secrétaire perpétuel, dont la tête se troublait un peu à la suite de toutes ces ridicules histoires, répondit vaguement :

— Qu’est-ce que vous voulez que je lui dise ?… Je lui dirai : «  Du courage, mon ami… »

Et c’est ainsi que ce soir-là, sur le coup de dix heures, une ombre qui semblait prendre les plus grandes précautions pour n’être point suivie se glissait sur les trottoirs déserts de la vieille place Dauphine, et s’arrêtait devant une petite maison basse, dont elle fit résonner le marteau assez lugubrement dans cette solitude.


CHAPITRE III

La boîte qui marche


M. Hippolyte Patard ne sortait jamais après son dîner. Il ne savait pas ce que c’était que de se promener la nuit dans les rues de Paris. Il avait entendu dire, et il avait lu dans les journaux, que c’était très dangereux. Quand il rêvait de Paris, la nuit, il apercevait des rues sombres et tortueuses qu’éclairait çà et là une lanterne, et que traversaient des ombres louches, à l’affût des bourgeois, comme au temps de Louis XV.

Or comme M. le secrétaire perpétuel continuait d’habiter au vilain carrefour Buci, un petit appartement qu’aucun triomphe littéraire, qu’aucune situation académique n’avaient pu lui faire quitter,