Page:Leroux - Le Fauteuil hanté.djvu/53

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rue de la Huchette cette formule mystérieuse de Toth est répétée… On a demandé — les magistrats poussés par l’opinion publique et des journalistes et moi-même, — on a demandé à M. Raymond de la Boissière, qui est un de nos plus brillants égyptiaques, ce que c’était que le secret de Toth. Il a répondu textuellement :

— La lettre du secret de Toth est celle-ci : « Tu mourras si je veux par le nez, les yeux, la bouche et les oreilles, car je suis le maître de l’air de la lumière et du son. »

— C’était un type épatant que ce vieux Toth ! fit le grand Loustalot en hochant la tête d’un air mi-sérieux, mi-goguenard.

— S’il faut en croire M. Raymond de la Boissière, il faudrait voir en lui l’inventeur de la magie. C’était l’Hermès des Grecs, à ce qu’il paraît, et il était neuf fois grand. On a trouvé sa formule écrite à Sakkusah, sur les parois des chambres funéraires des pyramides des rois de la Ve et de la VIe dynastie, — ce sont les plus anciens textes que nous connaissions, — et cette formidable formule était entourée d’autres formules qui préservaient de la morsure des serpents, de la piqûre des scorpions et, en général, de l’attaque de tous les animaux qui fascinent.

— Mon cher Monsieur Lalouette, déclara le grand Loustalot, vous parlez comme un livre. On a plaisir à vous entendre.

— Je suis doué, mon cher maître, d’une excellente mémoire, mais je n’en tire aucune vanité. Je suis le plus ignorant des hommes et je viens bien humblement vous demander ce que vous pensez du secret de Toth… M. Raymond de la Boissière ne cache pas que la lettre du fameux secret inscrite dans le tombeau était suivie de signes mystérieux comme nos algébriques et nos chimiques sur lesquels ont pâli des générations d’égyptiaques. Et il disait que ces signes qui donnaient la puissance dont parle Toth avaient été déchiffrés par l’Eliphas de la Nox. Celui-ci l’affirma à plusieurs reprises et on a retrouvé dans ses papiers, lors de la perquisition rue de la Huchette, un manuscrit intitulé : Des forces du passé à celles de l’avenir, qui tendrait à faire croire que l’Eliphas avait, en effet, pénétré la pensée redoutable des savants de ce temps-là. Vous savez naturellement, mon cher maître, que les prêtres de la première Égypte avaient déjà découvert l’électricité ?

— T’es chouette, Lalouette, ricana Loustalot en se courbant comme un singe et en se prenant le bout de ses pieds dans l’extrémité de ses petites mains. Mais continue toujours… tu m’amuses.

M. Gaspard Lalouette fut suffoqué d’une aussi vulgaire familiarité, mais réfléchissant que les hommes de génie ne sauraient se mouvoir dans le cadre de politesse fabriqué pour les hommes ordinaires, il continua sans avoir l’air de s’apercevoir de rien :

— Ce M. Raymond de la Boissière est très affirmatif là-dessus. Et il a même ajouté : Ils pouvaient être aussi bien au courant des forces incommensurables de la dématérialisation de la matière que nous venons seulement de découvrir et même peut-être avaient-ils mesuré ces forces-là, ce qui leur permettait bien des choses.



L’orgue avait une embouchure


Le grand Loustalot lâcha ses petits pieds, se détendit comme un arc et se retrouva d’aplomb sous le menton de M. Lalouette, proférant, en se grattant le bout du nez, ces paroles étranges :

— Tu l’as dit, bouffi !

M. Lalouette ne sourcilla pas ; il dit :

— Tout cela vous semble bien ridicule, mon cher maître.

— Tu parles, Charles !

— Je ne suis pas fâché, fit aussitôt M. Lalouette, en souriant aimablement au cher maître, de vous voir prendre les choses sur ce ton. Figurez-vous que j’avais fini par me laisser impressionner, comme tant d’autres. Car vous savez ce qui est arrivé. Aussitôt que l’on a connu le texte du secret de Toth : « Tu mourras si je veux par le nez, par les yeux, la bouche et les oreilles car je suis le maître de l’air, de la lumière et du son », aussitôt, il s’est trouvé des gens pour tout expliquer.

— Ah ! oui !

— À l’idée qu’avec le secret de Toth Eliphas était le maître du son ils se sont rappelé aussitôt les paroles de la Babette, sur la chanson qui tue ! Et ils ont dit que l’Eliphas ou le vielleux avait introduit quelque chose dans le mécanisme de l’orgue, une force qui tue en chantant et qui était peut-être enfermée dans une boîte qu’on a retirée ensuite de l’orgue. C’est là-dessus que j’ai demandé à visiter l’orgue.

— C’est une affaire qui vous intéressait donc bien, monsieur Lalouette ? interrogea le savant sur un ton presque farouche et qui démonta tout à fait ce pauvre M. Lalouette qui n’était cependant point timide.