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de tableaux, expert-antiquaire, mais M. Gaspard Lalouette, collectionneur.

— Madame ! s’écria M. Hippolyte Patard, enchanté, madame, vous êtes une femme supérieure. Il faudra mettre cela aussi dans le Tout-Paris.

Et il lui baisa la main.

— Oh ! sûrement, répondit-elle, quand il sera de l’Académie.

Il y eut un court silence et puis des petites toux. M. Hippolyte Patard jeta un coup d’œil sévère sur tout le monde et, avec autorité, s’empara d’un siège.

— Asseyez-vous tous, ordonna-t-il. Nous allons causer sérieusement.

On obéit. Mme Lalouette roulait entre ses doigts sa grosse épaisse chaîne d’or. À côté d’elle, M. Gaspard Lalouette fixait M. le secrétaire perpétuel avec, dans le regard, cette anxiété spéciale aux élèves un peu cancres qui se trouvent en face de leurs examinateurs, le jour du baccalauréat.



L’érudition de m. lalouette


— Monsieur Lalouette, fit M. Patard, vous êtes un homme de lettres ; cela veut-il dire que vous aimiez les lettres simplement, ou que vous ayez déjà publié quelque chose ?

Comme on le voit, M. le secrétaire perpétuel prenait déjà ses précautions pour le cas où M. Lalouette n’eût rien publié du tout.

— J’ai déjà, Monsieur le secrétaire perpétuel, répondit avec assurance le marchand de tableaux, j’ai déjà publié deux ouvrages qui sont, j’ose le dire, fort appréciés des amateurs.

— Très bien cela ! Et leurs titres, s’il vous plaît ?

De l’art de l’encadrement !

— Parfait !

— Et un autre sur l’authenticité des signatures de nos peintres les plus célèbres.

— Bravo !

— Évidemment, ces œuvres ne sont point répandues dans le gros public, mais tous ceux qui fréquentent l’Hôtel des Ventes les connaissent.

— Monsieur Lalouette est trop modeste, déclara Mme Lalouette en faisant sonner sa chaîne d’or. Nous avons ici une lettre de félicitations d’un personnage qui a su apprécier mon mari à sa juste valeur. J’ai nommé Mgr le prince de Condé.

— Mgr le prince de Condé ! s’exclamèrent tous les académiciens en se levant comme un seul homme.

— Voici la lettre.

Et Mme Lalouette tira, en effet, une lettre de son opulent corsage.

— Elle ne me quitte jamais ! fit-elle. Après M. Lalouette, c’est ce que j’ai de plus cher au monde.

Tous les académiciens étaient, maintenant, sur la lettre qui était bien du prince et des plus élogieuses. La joie était générale. M. Hippolyte Patard se retourna vers M. Lalouette et lui serra la main à la lui briser.

Mon cher collègue, lui dit-il, vous êtes un brave !

M. Lalouette devint tout rouge. Il avait relevé le front. Déjà il dominait la situation. Sa femme le regardait avec orgueil.

Et tout le monde répéta :

— Oui, oui, vous êtes un brave.

M. Patard :

— L’Académie s’honorera d’avoir un brave dans son sein.

— Je ne sais, Monsieur, fit M. Lalouette avec une humilité feinte, car il voyait bien que « l’affaire était dans le sac », s’il n’y a vraiment point trop d’ambition, à un pauvre plumitif comme moi, à briguer un tel honneur ?

— Eh ! s’écria M. le directeur, qui considérait maintenant M. Lalouette avec amour depuis qu’il avait lu la lettre de Mgr le prince de Condé… cela fera réfléchir les imbéciles !

M. Lalouette ne sut d’abord trop comment il devait prendre cette réflexion, mais il y avait une telle allégresse sur le visage de M. le directeur qu’il pensa que celui-ci n’avait point voulu lui être désagréable, ce qui, du reste, était la vérité.

— De fait ! Il y en a eu dans toute cette histoire, dit-il.

On l’écouta. On était curieux de savoir comment M. Lalouette envisageait les malheurs de l’Académie. Maintenant on n’avait plus qu’une crainte, c’est qu’il revînt sur sa résolution. Il dit :

— Oh ! moi, c’est bien simple ! Je plains la pauvre humanité qui admet parfaitement une série de vingt et une à la noire et qui n’admet point trois morts naturelles de suite à l’Académie !

On applaudit. M. le directeur, qui ne connaissait point le jeu de la roulette, se le fit expliquer. On laissa parler M. Lalouette. On l’étudiait. On était content de lui ; mais ce fut une véritable admiration