Page:Leroux - Le Fauteuil hanté.djvu/66

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devoir… c’est lui qui n’aura pas fait le sien !

Ils s’embrassèrent. Ils étaient radieux.

Mme Lalouette dit :

— Bonjour, Monsieur l’académicien !

— C’est bien pour toi…, fit Lalouette.

Et c’est vrai que c’était pour elle qu’il jouait cette étrange partie. Mme Lalouette, qui avait épousé M. Lalouette parce qu’il avait écrit des livres, n’avait jamais pardonné à son mari de lui avoir caché qu’il ne savait pas lire. Quand l’aveu en fut fait, il y eut dans le ménage des scènes déchirantes. Après quoi, Mme Lalouette avait essayé d’apprendre à lire à M. Lalouette. Ce fut peine perdue. Il y avait là comme un sortilège. L’alphabet alla encore (les grosses lettres), mais jamais M. Lalouette ne put arriver aux syllabes ba ba, bi bi, bo bo, bu bu. Il s’y était pris trop tard ; elles ne lui entrèrent point dans la tête. C’était dommage, car M. Lalouette était un artiste et il aimait les belles choses. Mme Lalouette en fit une maladie. Elle ne consentit à guérir que du jour où M. Lalouette fut nommé officier de l’Académie. Alors, elle lui rendit un peu de son amour.

Mais, bien que les années se fussent écoulées et que M. Gaspard Lalouette affectât de s’intéresser par-dessus tout, par l’entremise de son épouse aux belles-lettres, il y avait toujours « entre les deux conjoints » ce secret formidable qui empoisonnait leur existence ; M. Lalouette ne savait pas lire !

Sur ces entrefaites était arrivée cette affaire de l’Académie. Par le plus grand des hasards, M. Lalouette avait assisté à la mort de Maxime d’Aulnay. M. Gaspard Lalouette n’était ni superstitieux, ni sot. Il jugea naturelle la mort chez un homme qui avait une maladie de cœur et que le décès tragique de son prédécesseur devait hanter par-dessus tout. Il s’étonna de l’émotion générale et sourit de toutes les stupidités qui furent répandues à l’occasion de la vengeance d’un certain sorcier qui avait disparu. Et il fut bien étonné d’apprendre que ce double événement avait à ce point bouleversé les esprits qu’aucun nouveau postulant ne se présentait à la succession de Mgr d’Abbeville. Seul Martin Latouche restait qui n’avait pas encore retiré sa candidature. M. Lalouette, un beau jour, s’était dit : « C’est tout de même rigolo ! Mais s’ils n’en veulent pas, du fauteuil, il ne me fait pas peur, à moi !… c’est ça qui épaterait Eulalie ! »

Eulalie était le petit nom de Mme Gaspard Lalouette.

Il ne dit rien de ses vagues intentions à « son épouse ». Mais il fut déçu quand il apprit que Martin Latouche acceptait le plus tranquillement du monde d’être élu au fauteuil fatal. Tout de même, il voulut assister à la séance de réception de Martin Latouche. On n’eût pu dire exactement quelle était alors sa pensée. M. Lalouette avait-il, tout au fond de lui-même, l’espoir (qu’il ne pouvait, en honnête homme, s’avouer) que le destin, parfois si baroque, allait encore faire de ses coups ?… On ne saurait, sans être injuste, l’affirmer. Tant est que M. Lalouette assista à la scène où la vieille Babette, échevelée, vint annoncer la mort de son maître.

Tout fort, tout solide que l’on est, il y a des choses qui impressionnent. M. Lalouette sortit de cette cohue, fort impressionné.

C’est à ce moment qu’il commença de