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LES ANNALES ROMANTIQUES

verné le Berry ; frondeurs à rebours, ils furent au roi et, bravement, défendirent leur ville contre le parti de leur suzerain, ne quittant même pas les remparts pour aller éteindre un immense incendie qui, en une nuit, la brûla toute ; aussi le parti du roi les eut-il en haute estime et en grande pitié, et il leur fut promis ce qu’ils voudraient avoir, tant comme récompense que comme dédommagement. Ici parut leur caractère ; au lieu d’argent, ils sollicitèrent un privilège, non qu’ils y tinssent, mais parce que Bourges, ville rivale, l’avait : à savoir que le mairat, comme chez leurs voisins, conférât la noblesse : finement, ils se disaient qu’après des années, à la condition de changer leurs élus, la plupart de leurs familles seraient nobles. Mais ils avaient compté sans leur hôte, cet hôte incommode qu’ils logeaient en eux-mêmes : la jalousie. Celle-ci fit que, douze mois après, lors de la première élection, ce furent compétitions, luttes et batailles telles qu’il fallut renoncer à poursuivre ; et, piteusement, pour mettre tout le monde d’accord en ne donnant rien à personne, il fut demandé que les lettres-patentes, qui n’étaient pas entérinées, fussent détruites. On connaît la fable des deux paysans et de l’aune de boudin ; cette histoire est de nature à en faire apprécier toute la portée. Ajoutons que les habitants de Bourges, qui ne valaient pas mieux, se gaussèrent à plein gosier do leurs rivaux, disant que les gens de Condé, lors d’un bal donné à Issoudun, avaient, les lumières éteintes, suffisamment besogné pour anoblir’les enfants à venir des femmes de la ville.

Les Issoldunois forment encore aujourd’hui, mais à la vérité bien moins nettement tranchées que naguère, deux classes distinctes et ennemies. La plus nombreuse, la moins instruite, se compose des ouvriers tanneurs et parcheminiers qui travaillent dans les usines de la Rivière forcée, auxquelles se joint toute la population vigneronne, logée dans les faubourgs de Rome et de Baltan, et qui n’est rassurante qu’à demi ; c’est à cette classe qu’appartenait Brazier, l’oncle de la Rabouilleuse, car elle s’étend sur toute la région.

Bien que d’aspect assez misérable, ces vignerons ne sont pas tout à fait des pauvres ; presque tous possèdent un ou plusieurs lopins de terre, qu’ils cultivent avec ardeur et qu’ils gardent jalousement. Mais, en cette matière plus encore qu’en d’autres, se manifestent leur méfiance et leur âpreté berrichonnes. C’est ainsi qu’à la mort des pères les champs, au lieu d’être divisés en parts d’un seul tenant entre les enfants, sont morcelés à l’infini, sous le