Page:Les Aventures de Huck Finn.djvu/15

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— Il faudra pourtant que tu choisisses un état, Huck, dit la veuve.

— Tom et moi nous en avons déjà choisi un.

— Je parie que vous songez tous deux à redevenir pirates ?

— Plus tard, c’est possible, lorsque nous pourrons acheter un beau navire.
J’eus la bêtise de lui donner une chiquenaude.

— Et en attendant ?

— C’est un secret.

Là-dessus, chacun se mit à m’accabler de questions, cherchant à me tirer les vers du nez. Les dames surtout se montraient curieuses. Je crus qu’elles ne s’en iraient jamais. Voilà pourquoi j’étais si tracassé. Après avoir mis ma chandelle sur la table, je m’assis près de la fenêtre et j’essayai en vain de penser à quelque chose de gai. Le souvenir d’une salière que j’avais renversée à dîner me trottait dans la tête. Cela n’annonçait rien de bon. Tandis que je me reprochais de n’avoir pas jeté une pincée de sel par-dessus mon épaule gauche, j’aperçus une petite araignée qui grimpait le long d’une de mes manches. J’eus la bêtise de lui donner une chiquenaude qui l’envoya au beau milieu de la flamme de la chandelle. Tuer une araignée du soir, fût-ce par hasard, porte malheur, tout le monde le sait. Je me levai et je tournai trois fois sur moi-même en faisant le signe de la croix, puis j’attachai une mèche de mes cheveux avec un bout de fil. Ces moyens-là servent à chasser le mauvais sort quand on perd un fer à cheval que l’on a eu la chance de ramasser ; mais suffisaient-ils dans le cas actuel ? J’en étais rien moins que sûr. Aussi fus-je presque tenté de descendre en tapinois à la cuisine afin de consulter le grand nègre de miss Watson.

Jim était plus à même que personne de me renseigner là-dessus. Tout à coup je me souvins que Tom Sawyer m’avait prévenu que notre bande de voleurs était presque organisée et qu’il fallait me tenir