Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/121

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style, fut curieux d’en voir un échantillon. Son Excellence me fit prendre le registre de Catalogne, me mena devant ce monarque, et me dit de lire le premier mémoire que j’avais rédigé. Si la présence du prince me troubla d’abord, celle du ministre me rassura bientôt, et je fis la lecture de mon ouvrage, que Sa Majesté n’entendit pas sans plaisir. Elle eut la bonté de témoigner qu’elle était contente de moi, et de recommander même à son ministre d’avoir soin de ma fortune. Cela ne diminua rien de l’orgueil que j’avais déjà ; et l’entretien que j’eus peu de jours après avec le comte de Lemos acheva de me remplir la tête d’ambitieuses idées.

J’allai trouver ce seigneur, de la part de son oncle, chez le prince d’Espagne, et je lui présentai une lettre de créance, par laquelle le duc lui mandait qu’il pouvait s’ouvrir à moi comme à un homme qui avait une entière connaissance de leur dessein, et qui était choisi pour être leur messager commun. Après avoir lu ce billet, le comte me conduisit dans une chambre où nous nous enfermâmes tous deux, et là ce jeune seigneur me tint ce discours : Puisque vous avez la confiance du duc de Lerme, je ne doute pas que vous ne la méritiez, et je ne dois faire aucune difficulté de vous donner la mienne. Vous saurez donc que les choses vont le mieux du monde. Le prince d’Espagne me distingue de tous les seigneurs qui sont attachés à sa personne, et qui s’étudient à lui plaire. J’ai eu ce matin une conversation particulière avec lui, dans laquelle il m’a paru chagrin de se voir, par l’avarice du roi, hors d’état de suivre les mouvements de son cœur généreux, et même de faire une dépense convenable à un prince. Sur cela je n’ai pas manqué de le plaindre ; et, profitant de ce moment-là, j’ai promis de lui porter demain à son lever mille pistoles, en attendant de plus grosses sommes que je me suis fait fort de lui fournir incessamment. Il a été charmé de ma promesse ; et je suis bien sûr de captiver sa bienveillance, si je lui tiens parole. Allez dire,