Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/159

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Eh bien ! mon prince, lui dit le comte de Lemos, pouvions-nous vous procurer le plaisir de voir deux personnes plus jolies ? Je les trouve toutes deux ravissantes, répondit le prince ; et je n’ai garde de remporter d’ici mon cœur, puisqu’il n’échapperait point à la tante, si la nièce le pouvait manquer.

Après un compliment si gracieux pour une tante, il dit mille choses flatteuses à Catalina qui lui répondit très spirituellement. Comme il est permis aux honnêtes gens qui font le personnage que je faisais dans cette occasion, de se mêler à l’entretien des amants, pourvu que ce soit pour attiser le feu, je dis au galant que sa nymphe chantait et jouait du luth à merveille. Il fut ravi d’apprendre qu’elle eût ces talents ; il la pressa de lui en montrer un échantillon. Elle se rendit de bonne grâce à ces instances, prit un luth tout accordé, joua quelques airs tendres, et chanta d’une manière si touchante, que le prince se laissa tomber à ses genoux tout transporté d’amour et de plaisir. Mais finissons-là ce tableau, et disons seulement que, dans la douce ivresse où l’héritier de la monarchie espagnole était plongé, les heures s’écoulèrent comme des moments, et qu’il nous fallut l’arracher de cette dangereuse maison, à cause du jour qui s’approchait. Messieurs les entrepreneurs le ramenèrent promptement au palais, et le remirent dans son appartement. Ils se retirèrent ensuite chez eux, aussi contents de l’avoir appareillé avec une aventurière, que s’ils eussent fait son mariage avec une princesse.

Je contai le lendemain matin cette aventure au duc de Lerme, car il voulait tout savoir. Dans le temps que je lui en achevais le récit, le comte de Lemos arriva, et nous dit : Le prince d’Espagne est si occupé de Catalina, il a pris tant de goût pour elle, qu’il se propose de la voir souvent et de s’y attacher. Il voudrait lui envoyer aujourd’hui pour deux mille pistoles de pierreries ; mais il n’a pas le sou. Il s’est adressé à moi. Mon