Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/161

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présents de mon ambassade, lesquels consistaient en une belle paire de boucles d’oreilles avec les pendants pour la nièce. Charmées l’une et l’autre de ces marques de l’amour et de la générosité du prince, elles se mirent à jaser comme deux commères, et à me remercier de leur avoir procuré une si bonne connaissance. Elles s’oublièrent dans l’excès de leur joie. Il leur échappa quelques paroles qui me firent soupçonner que je n’avais produit qu’une friponne au fils de notre grand monarque. Pour savoir précisément si j’avais fait ce beau chef-d’œuvre, je me retirai dans le dessein d’avoir un éclaircissement avec Scipion.


CHAPITRE XII

Qui était Catalina. Embarras de Gil Blas, son inquiétude, et quelle précaution il fut obligé de prendre pour se mettre l’esprit en repos.


En entrant chez moi, j’entendis un grand bruit. J’en demandai la cause. On me dit que c’était Scipion qui ce soir-là donnait à souper à une demi-douzaine de ses amis. Ils chantaient à gorge déployée et faisaient de longs éclats de rire. Ce repas n’était assurément pas le banquet des sept sages.

Le maître du festin, averti de mon arrivée, dit à sa compagnie : Messieurs, ce n’est rien, c’est le patron qui revient : que cela ne vous gêne pas. Continuez de vous réjouir ; je vais lui dire deux mots ; je vous rejoindrai dans un moment. À ces mots il vint me trouver. Quel tintamarre ! lui dis-je. Quelle sorte de personnes régalez-vous donc là-bas ? Sont-ce des poètes ? Non pas, s’il vous plaît, me répondit-il. Ce serait dommage de donner votre vin à boire à ces gens-là : j’en fais un meilleur usage. Il y a parmi mes convives un jeune homme très riche qui veut obtenir un emploi par votre crédit et