Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/173

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quels ils aspiraient, ce qui fit son effet. Le bourgeois Gabriel, étourdi de leurs grandes idées, ne se sentait, malgré tout son bien, qu’un petit mortel en comparaison de ces messieurs. Pour moi, faisant l’homme modéré, je dis que je me contenterais d’une fortune médiocre, comme de vingt mille ducats de rente ; sur quoi ces affamés d’honneurs et de richesses s’écrièrent que j’aurais tort, et qu’étant aimé autant que je l’étais du premier ministre, je ne devais pas m’en tenir à si peu de chose. Le beau-père ne perdit pas une de ces paroles, et je crus remarquer, quand il se retira, qu’il était fort satisfait.

Scipion ne manqua pas de l’aller voir le jour suivant dans la matinée, pour lui demander s’il était content de moi. J’en suis charmé, lui répondit le bourgeois ; ce garçon-là m’a gagné le cœur. Mais, seigneur Scipion, ajouta-t-il, je vous conjure, par notre ancienne connaissance, de me parler sincèrement. Nous avons tous notre faible, comme vous savez. Apprenez-moi celui du seigneur de Santillane. Est-il joueur ? est-il galant ? Quelle est son inclination vicieuse ? Ne me le cachez pas, je vous en prie. Vous m’offensez, seigneur Gabriel, en me faisant cette question, repartit l’entremetteur. Je suis plus dans vos intérêts que dans ceux de mon maître. S’il avait quelque mauvaise habitude qui fût capable de rendre votre fille malheureuse, est-ce que je vous l’aurais proposé pour gendre ? Non, parbleu ! je suis trop votre serviteur. Mais, entre nous, je ne lui trouve point d’autre défaut que celui de n’en avoir aucun. Il est trop sage pour un jeune homme. Tant mieux, reprit l’orfèvre : cela me fait plaisir. Allez, mon ami, vous pouvez l’assurer qu’il aura ma fille, et que je la lui donnerais quand il ne serait pas chéri du ministre.

Aussitôt que mon secrétaire m’eut rapporté cet entretien, je courus chez Salero, pour le remercier de la disposition favorable où il était pour moi. Il avait déjà déclaré ses volontés à sa femme et à sa fille, qui me